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Sagot :

Comme on parle d’un premier amour, en tant que lectrice il existe pour moi une œuvre fondatrice. Au Bonheur des Dames de Zola a été ma révélation littéraire. Une sorte de madeleine de Proust m’ouvrant les portes d’un monde inconnu avec la puissance d’une lame de fond. À quoi tient cet éblouissement ? Au génie d’un écrivain précurseur sur son temps, qui de sa plume d’une puissance évocatrice sans équivalent décrit un monde en perpétuel changement, capable de discerner la lueur du progrès, l’avènement d’un capitalisme sauvage, mais également à l’effroi qui nous saisit face au monstre qu’il décrit. Cette machine infernale, reposant sur la mécanique biologique du gros qui mange le petit, symbole d’un capitalisme rutilant dont la ruine des petits commerçants nourrit le processus de destruction créatrice sur lequel s’appuie son développement. Zola décèle dans l’essor des grands magasins la rouerie ultime, le coup de génie d’une industrie qui, sous couvert de servir les intérêts de la femme, l’affole, la domine, réveille ses instincts endormis, réchauffe la flamme du désir et nourrit un appétit inassouvi, et dans un ultime soubresaut, l’asservit. Puisqu’après avoir été exposée à toutes les tentations, celle-ci finit par succomber, s’avouant vaincue et se donnant toute entière à ses pulsions, au désir de possession qui l’enivre, fébrile face à l’étalage de marchandises, destiné à lui faire tourner la tête. Il faut être un fin connaisseur de la psyché féminine pour concevoir une combine aussi perfectionnée. C’est ce qu’est Octave Mouret, un stratège qui entend exploiter les faiblesses de la femme pour mieux l’assujettir à ses propres désirs. Ingénieux. Pourtant, certains lui prédisent que, si c’est par la femme qu’il s’est enrichi, c’est par elle qu’il succombera. L’une d’elle arrivera et les vengera. Elle résistera, ne se donnera pas, lui faisant perdre de sa superbe. Cette femme là, c’est Denise. Au bonheur des dames n’est pas seulement la chronique d’un monde en mutation, mais un roman d’un romantisme fou. Le symbole du triomphe de l’amour sur l’argent. Rare chose qui ne puisse pas s’acheter.

L’essor du capitalisme sous le Second Empire

Dans Au Bonheur des Dames, roman naturaliste et chronique sociale, Émile Zola décrit avec une précision clinique l’avénement du capitalisme sous le Second Empire. Sa manière d’insuffler à la société un air nouveau, de balayer les vestiges d’une époque révolue et de faire table rase du passé. L’oncle Baudu incarne toute une génération de petits commerçants qui se laisseront distancer par les grands magasins, grignoter leurs profits et boiront le calice jusqu’à la lie. La corrélation inversée entre l’accroissement du Bonheur des Dames et la disparition des commerçants du quartier symbolise la marche inéluctable du progrès. C’est ce souffle qui traverse le roman. La réussite d’un système qui impose de s’adapter, faute de quoi l’on est évincé. Si l’on sent chez Zola poindre une certaine fascination et la glorification d’un système économique basé sur le travail, ce sentiment est doublé d’une appréhension face à une machine infernale avide de capitaux et de vies humaines, qu’elle traite comme de la chair à canon. La période à laquelle se situe l’intrigue est une époque charnière. Napoléon III entame des travaux de modernisation de la capitale colossaux. Le baron Haussmann, alors préfet de Paris, engage des mesures d’assainissement, métamorphosant Paris. Tout tend vers ce besoin de changement. Ce coup de fouet donné à la société, cette frénésie, véritable pulsion de vie parfaitement retranscrite et dont on ressort étourdi.

Un sublime roman d’amour

Au Bonheur des Dames fait figure d’exception dans l’œuvre de Zola. Les Rougon-Macquart, avant d’être une œuvre romanesque titanesque, se veut une étude approfondie sur l’hérédité à travers la généalogie de toute une famille. Les personnages principaux finissant le plus souvent rongés par leurs vices… En cela, Au Bonheur des Dames se démarque. L’héroïne, fraîchement débarquée à Paris, parvient à conquérir le cœur d’Octave Mouret et à se faire aimer de ceux qui la méprisaient. Elle incarne un idéal féminin cher à Zola. Celui d’une femme délicate aux charmes discrets. Le désespoir dans lequel sombre Octave Mouret, en voyant la jeune femme lui résister, insensible à ses millions et affichant un air détaché face à ses supplications, tout cela sans la moindre arrière pensée, est tout simplement jubilatoire. Quant au dénouement, il est d’un romantisme inouï.

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