Madame Bovary, 1856, Gustave Flaubert Rodolphe a emmené Mme Bovary au premier étage, désert, de la Mairie, pour mieux voir le spectacle des Comices agricoles et entendre les discours prononcés à cette occasion.
Rodolphe, avec Mme Bovary, causait rêves, pressentiments, magnétisme. Remontant au berceau des sociétés, l'orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de glands au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes, endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. Était-ce un bien, et n'y avait-il pas dans cette découverte plus d'inconvénients que d'avantages ? M. Derozerays se posait ce problème. Du magnétisme peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités, et, tandis que M. le Président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses choux et les empereurs de la Chine inaugurant l'année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure. - Ainsi nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ? Quel hasard l'a voulu ? C'est qu'à travers l'éloignement, sans doute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous avaient poussés l'un vers l'autre. >> Et il saisit sa main; elle ne la retira pas. << ...Ensemble de bonnes cultures !... » cria le Président. - Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous... « ...A M. Bizet de Quincampoix... >> - Savais-je que je vous accompagnerais... << ...Soixante et dix francs!... >> - Cent fois même j'ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté. << ...Fumiers... >> - Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie ! « ...A M. Caron, d'Argueil, une médaille d'or !... >> -Car jamais je n'ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet. << ...A M. Bain, de Givry-Saint-Martin !... » - Aussi, moi, j'emporterai votre souvenir. << ...Pour un bélier mérinos... >> - Mais vous m'oublierez, j'aurai passé comme une ombre. « ...A M. Belot, de Notre-Dame... >> - Oh! non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie ? << ...Race porcine prix ex aequo: à MM. Lehérissé et Cullembourg ; soixante francs!... » Rodolphe lui serrait la main, et il la sentait toute chaude et frémissante comme une tourterelle captive qui veut reprendre sa volée. Mais, soit qu'elle essayât de la dégager ou qu'elle répondit à cette pression, elle fit un mouvement des doigts ; il s'écria : - Oh! merci ! Vous ne me repoussez pas ! Vous êtes bonne ! Vous comprenez que je suis à vous ! Laissez que je vous voie, que je vous contemple ! Un coup de vent qui arriva par les fenêtres fronça le tapis de la table, et, sur la place, en bas, tous les grands bonnets des paysannes se soulevèrent, comme des ailes de papillons blancs qui s'agitent.
Questions
1) Mettez entre crochets les différents types de discours rapporté et indiquez dans la marge le type de discours (discours direct, indirect, indirect libre).
2) Les passages au discours direct constituent-ils un dialogue ? Quels sont les locuteurs ? En quoi la ponctuation, un peu particulière, vous aide-t-elle ?
3) Relevez les termes qui désignent celui qui prononce le discours des Comices. Quelles informations donnent-ils au lecteur ?
4) Transposez au discours direct la phrase: « le jeune homme expliquait... quelque existence antérieure. » et au discours indirect les paroles de Rodolphe de : «Ainsi, nous... » à « ... l'un vers l'autre. » Ajoutez des verbes introducteurs et faites les modifications nécessaires.
5) Quel est l'effet produit par l'irruption du discours agricole dans le discours amoureux ? Que pensez-vous de l'un et de l'autre ? Justifiez votre réponse en vous appuyant précisément sur le texte.