Bonjours,
Ma question est : en quoi ce texte est-il poétique
Elle est ainsi, la géante au pied boiteux, la Pleurante des rues de Prague, elle porte dans les plis de ses hardes1 couleur de terre et de muraille des noms, des visages et des voix par milliers et milliers.
Elle recèle tant de noms dans les replis de sa robe effilochée qu’ils pourraient, tous ces noms, former un peuple. Comme les noms gravés sur les murs des mémoriaux.
Elle retient le timbre de chaque voix, – toutes ces voix qui susurrent dans l’ombre de ses plis et s’en échappent par instants, une à une, ainsi que des abeilles se détachant d’un essaim pour s’en aller voleter dans la lumière du jour.
Et elle connaît au plus intime les visages de tous ces êtres, elle rend visages à toutes ces voix, à ces noms. Elle les sème sur son passage, grains de lumière, lueurs fugaces. Tous les tissus qui vêtent son grand corps immatériel sont comme autant de suaires.
Elle n’est cependant nullement un fantôme, une fossilisation du passé. Elle n’est pas davantage une prophétesse. Elle n’annonce rien.
Elle est la peau du temps ; du temps qui passe et glisse et disparaît, et sans cesse s’avance dans la clarté du jour, et sans cesse s’efface dans l’ombre, dans la brume, s’enfonce dans la nuit puis resurgit au jour. […]
Peut-être est-elle l’écho lointain de la pitié de Dieu. Cette pitié immense, immense et incessante, qui parcourt le monde en suppliant qu’on la reçoive, qu’on écoute sa plainte. Cette pitié manante3 qui traverse l’histoire en boitant sous le fracas sans cesse recommencé des guerres, des crimes, de tout le sang versé. Mais on la chasse de partout, on ne sait qu’alourdir le poids de sa douleur, le poids de l’ombre et du sang et des larmes dans les plis de sa robe en haillons.
Elle ne se lasse cependant pas d’en appeler à chacun, à tous.