Sagot :
Bonjour,
Je voyais des ombres émerger de ces puits latéraux, et se mouvoir, masses énormes et difformes : des espèces d'ours qui pataugeaient et grognaient. C'était nous.
Nous étions emmitouflés à la manière des populations arctiques. Lainages, couvertures, toiles à sac, nous empaquetions, nous surmontions, nous arrondissions étrangement. Quelques-uns s'étiraient, vomissaient des bâillements. On percevait des figures, rougeoyantes ou livides, avec des salissures qui les balafraient, trouées par les veilleuses d'yeux brouillés et collés à bord, embroussaillées de barbes non taillées ou encrassées de poils non rasés.
Tac ! Tac ! Pan ! Les coups de fusils, la canonnade. Au-dessus de nous, partout, ça crépitait ou ça roulait, par longues rafales ou par coups séparés. Le sombre et flamboyant orage ne cessait jamais, jamais. Depuis plus de quinze mois, depuis cinq cents jours, en ce lieu du monde, où nous étions, la fusillade et le bombardement ne s'étaient pas arrêtés du matin au soir et du soir au matin. On était enfermé au fond d'un éternel champ de bataille ; mais comme le tic-tac des horloges de nos maisons, aux temps d'autrefois, dans le passé quasi légendaire, on n'entendait cela que lorsqu'on écoutait.