En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de
son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche
et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l'état
horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est
l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous
travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous
voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que
vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : " Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront
vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de
ton père et de ta mère." Hélas! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne.
Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches
hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam,
blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous
cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une
manière plus horrible.
Questions /
1) Qui Candide rencontre-t-il ? Qu'apprend-on sur ce personnage ?
2) Comment le maître s'appelle-t-il ? Quelle caractéristique du personnage ce nom évoque-t-il ?
3) Quelle personnes Voltaire vise-t-il dans cette satire ? Expliquer
4) Quels procédés d'écriture Voltaire emploie-t-il ? Expliquer