De retour au château de Maupertuis, Renart partagea son butin avec son
épouse Hermeline et ses enfants. Tous trois accueillirent Renart avec joie et
respect, aussi ce dernier apprécia-t-il cette déférence et en profita pour
faire le récit entier de ses aventures. Alors qu'il s'apprêtait à parler, il
préféra commencer par donner l'ordre de clore la porte, afin de n'être point
dérangé. Puis il procéda au partage, les trois paires d'yeux implorants
tournées vers lui. Calmement, il retira
une paire de harengs qu'il distribua à son épouse. Puis vint le tour de ses deux fils, prêts à
se disputer la nourriture.
- Point n'est besoin de batailler, mes fils. Il en restera plus que vos estomacs ne
pourront accepter.
Et ce disant il donna les reste des harengs aux enfants.
- Qui ensuite voudra des anguilles?
Il s'en délecta de deux entières devant tout le monde, puis procéda de
la même façon que pour les harengs pour distribuer le reste.
- Cette nourriture fut le fruit bien mérité de gros efforts.
Il reprit en leurs disant :
- Ouvrez bien vos oreilles, que mes aventures vous soient d’un quelconque
profit.
Il enchaîna avec ce récit.
- La faim tenaillait tant et tant mon estomac que je partis ce matin
avec la ferme intention de ramener une ration. J’essayai mes techniques
préférées, comme rôder dans les bois ou le long de l’eau, mais rien n’y
fit. C’est alors que j’eus l’idée de me
cacher dans un fossé, le long de la route. Dès que j’entendis le bruit de
roues, j’eus le temps de voir que le charriot transportait du poisson. J’échafaudai
rapidement un plan.
Renart s’interrompit un moment dans son récit pour ménager son effet
de surprise.
- Je décidai de faire le mort au milieu de la route, ne bougeai plus
et retins ma respiration. Les hommes qui m’approchèrent ne décelèrent rien de
mon subterfuge et me balancèrent sur la carriole au milieu de ce délicieux
poisson. Les pauvres ! Ils espéraient vendre ma fourrure !
- J’entrepris donc de reprendre des forces en me gavant de harengs,
puis eut l’idée d’enfiler les anguilles en collier autour de mon cou grâce à de
l’osier.
- Ne me restait plus qu’à descendre du charriot et je profitai d’un
passage sur l’herbe pour le faire discrètement.
- Je n’eus pas le cœur de laisser mes méfaits inconnus aussi interpellai-je
les hommes une fois hors d’atteinte ! Ah, ah , quelle excellente sortie !
Les récits de Renart furent ponctués de Oh et de Ah à la satisfaction
du narrateur.
C’est ainsi que la famille entière, repue et heureuse, put prendre
quelque repos.