Platon : « il y
a plus grand avantage à être réfuté… »

Socrate : « – J’imagine, Gorgias, que tu as eu, comme moi, l’expérience
d’un bon nombre d’entretiens. Et, au cours de ces entretiens, sans doute as-tu
remarqué la chose suivante :
les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de
discuter et à conclure leur discussion après s’être l’un et l’autre mutuellement
instruits. Au contraire, s’il arrive qu’ils soient en désaccord sur quelque
chose, si l’un déclare que l’autre se trompe ou parle de façon confuse, ils
s’irritent l’un contre l’autre, et chacun d’eux estime que son interlocuteur
s’exprime avec mauvaise foi, pour avoir le dernier mot, sans chercher à savoir
ce qui est au fond de la discussion. Il arrive même, parfois, qu’on se sépare
de façon lamentable : on s’injurie,
on lance même les insultes qu’on reçoit, tant et si bien que les auditeurs
s’en veulent d’être venus écouter de pareils individus. Te demandes-tu pourquoi
je parle de cela ? Parce que
j’ai l’impression que ce que tu viens de dire n’est pas tout à fait cohérent,
ni parfaitement accordé avec ce que tu disais d’abord au sujet de la rhétorique.
Et puis, j’ai peur de te réfuter, j’ai peur que tu ne penses que l’ardeur
qui m’anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion,
mais bien à te critiquer. Alors, écoute, si tu es comme moi, j’aurais plaisir
à te poser des questions, sinon, j’y renoncerais. Veux-tu savoir quel type
d’homme je suis ? Eh bien,
je suis quelqu’un qui est content d’être réfuté, quand ce que je dis est faux,
quelqu’un qui a aussi plaisir à réfuter quand ce qu’on me dit n’est pas vrai,
mais auquel il ne plaît pas moins d’être réfuté que de réfuter. En fait, j’estime
qu’il y a plus grand avantage à être réfuté, dans la mesure où se débarrasser
du pire des maux fait plus de bien qu’en délivrer autrui. Parce qu’à mon sens,
aucun mal n’est plus grave pour l’homme que se faire une fausse idée des questions
dont nous parlons en ce moment. Donc, si toi, tu m’assures que tu es comme
moi, discutons ensemble ;
sinon, laissons tomber cette discussion, et brisons là. »

Gorgias, 458, éd. GF p. 145-146


question :
1 expliquez la phrase
: En fait, j’estime
qu’il y a plus grand avantage à être réfuté, dans la mesure où se débarrasser
du pire des maux fait plus de bien qu’en délivrer autrui.

2que pensez vous des conditions que socrate pose a son entretien avec gorgia?




Sagot :

Pour la Q.1
PLATON énonce en réalité les règles d'une éthique de la discussion.

La première
, implicite, c'est qu'une discussion ne vaut que
si elle constitue un effort de réfutation mutuelle, sachant que cette opération n'a rien de personnel, mais vise a repérer et à éviter le faux.
La seconde, c'est qu'il faut prendre plaisir a être réfuté.
La troisième,
c'est qu'il faut avoir plaisir à réfuter.
Il y a donc un principe de réciprocité, que refusent précisément les sophistes qui prétendent avoir la puissance de réfuter quiconque et ne pouvoir eux-mêmes l'être.

 Ainsi, PLATON suggère le caractère suspect, du point de vue de la
recherche du vrai, de toute prétention à l'irréfutabilité. La visée n'est pas tant l'accès au vrai que la
délivrance du faux.
Cette éthique se combine même avec des considérations morales,
c'est-a-dire portant sur ce qui est
bien et mal, en l'occurrence
le fait d'être débarrassé du faux ou au contraire d'y être empêtré ; plus précisément, il est encore mieux d'être soi-même débarrassé du faux que d'en débarrasser autrui.

Cette liaison entre la problématique de la connaissance et la problématique
de la vertu est récurrente chez PLATON.