EXTRAIT1 Le portrait de Gervaise
Gervaise, une blanchisseuse d'origine provençale, a suivi son amant Auguste
Lantier à Paris avec leurs deux enfants. Les premières pages du roman
présentent l'environnement précaire dans lequel évoluent les personnages.
Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle
éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il décou-
chait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse' déteinte qui
tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses
yeux voilés de
larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie',
meublée d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de
paille et d'une
paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébré-
ché: On avait
avait
emplissait les deux pour les enfants, un lit de fer qui barrait la com
ajouté,
commode et
tiers de la p
a pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande
ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme
tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales; tandis que, le
long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un panta-
lon mangé par la
boue, les dernières nippes dont les marchands d'habits ne
voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépa-
¹5 reillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d'un rose
tendre. C'était la belle chambre de l'hôtel, la chambre du premier, qui donnait
sur le boulevard.
Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller, les deux enfants dor-
maient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couver-
20 ture, respirait d'une haleine lente, tandis qu'Étienne, âgé de quatre ans
seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère. Lorsque le regard noyé
de leur mère s'arrêta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elle tam-
ponna un mouchoir sur sa bouche, pour étouffer les légers cris qui lui échap-
paient. Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna
25 s'accouder à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trot-
toirs au loin.
Émile Zola, L'Assommoir, chapitre I, 1877.
Comment Zola met-il en place le cadre de son roman?
1. PREMIERE LECTURE Quelles impressions ressentez-vous
face à la misère matérielle et morale dans laquelle est
plongée Gervaise?
Une image de la misère
2. Où l'action se situe-t-elle ? Quel effet les indications
temporelles produisent-elles?
3. Quels objets sont décrits et quels adjectifs leur sont
associés? Quelle est l'impression produite?
Des personnages ancrés dans le réel
4. Depuis quel point de vue ce début de roman est-il
raconté ? Quels éléments indiquent l'état émotionnel
dans lequel se trouve Gervaise? La focalisation, p. 456
Memo
ismael
L'incipit
Le mot «incipit» est un
terme qui vient du verbe
latin incipere qui signifie
débuter». Il désigne la
toute première page d'un
roman qui permet de
mettre en place la situation
d'énonciation. L'incipit
donne des informations sur
les personna détermine le
le cadre
et l'intrigue. Il c
sur
point
de vue adopté par le
narrateur et renseigne s
les choix stylistiques de
C'auteur. Il vise dès l'entrée
du texte à séduire le
lecteur. Incipit et explicit,
p. 466
1. Perse: tissu d'ameublement
imprimé. 2. Flèche: fixation en
forme de pointe. 3. Chambre
garnie: chambre louée contenant
le minimum pour vivre.
4. Flancs: côtés. 5. Nippes:
vêtements usagés (familier).
6. Reconnaissances du mont-
de-piété: documents attestant la
mise en gage d'objets personnels
pour emprunter de l'argent.
5. Comment définiriez-vous les liens qui unissent les
personnages? A quelle catégorie sociale appar-
tiennent-ils?
6. SYNTHÈSE En quoi cet incipit suscite-t-il la pitié du lecteur?
ÉCRIT D'APPROPRIATION
Écrire les pensées de Gervaise
Imaginez les pensées de Gervaise dans un monologue
intérieur, à partir de (1. 25): «elle reprit son attente
de la nuit, interrogeant les trottoirs au loin»>. Vous
reconstituerez son cheminement mental à la première
personne du singulier. Elle se remémore notamment
son parcours de la Provence aux faubourgs parisiens.