Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet
Tu as brûlé mes lettres, ma Juliette, mais tu n'as pas détruit mon amour. Il est entier
et vivant dans mon cœur comme le premier jour. Ces lettres, quand tu les as détruites, je sais
tout ce qu'il y avait de douleur, de générosité et d'amour dans ton âme ! C'était tout mon
cœur, c'était tout ce que j'avais jamais écrit de plus vrai et de plus profondément senti.
C'étaient mes entrailles, c'était mon sang, c'était ma vie et ma pensée pendant six mois,
c'était la trace de toi dans moi, le passage, le sillon creusé bien avant ton existence dans la
mienne. Sur un mot de moi que tu as mal interprété et qui n'a jamais eu le sens injuste que tu
lui prêtais, tu as détruit tout cela ! J'en ai plus d'une fois amèrement gémi, mais je ne t'ai
jamais accusée de l'avoir fait. Ma belle âme, mon ange, ma pauvre chère Juliette, je te
comprends et je t'aime.
Je ne veux pas pourtant que cette trace de ta vie dans la mienne soit à toujours
effacée. Je veux qu'elle reste, je veux qu'on la retrouve un jour quand nous ne serons plus
que cendre tous les deux, quand cette révélation ne pourra plus briser le cœur de personne. Je
veux qu'on sache que j t'ai aimée, que je t'ai estimée, que j'ai baisé tes pieds, que j'ai eu le
cœur plein de culte et d'adoration pour toi. C'est que depuis huit mois que mes yeux
pénètrent à chaque instant jusqu'au fond de ton âme, je n'y encore rien surpris, rien de ce
que tu penses, rien de ce que tu sens, qui fût indigne de moi.
J'ai déploré, plus d'une fois, les fatalités de ta vie, mon pauvre ange méconnu, mais
je te le dis dans la joie de mon cœur : si jamais coeur a été bon, simple, dévoué, c'est le tien;
si jamais amour a été complet, profond, brûlant, inépuisable, infini, c'est le mien.
Je baise ta belle âme sur ton beau front.
Victor Hugo (1834)
Svp pour demain !!