Parti le 15 mars 2002 de Tahiti pour pécher le mahi mahi (un poisson, la dorade), Tava
subit peu après une panne de moteur Cours plus une interminable dérive au gré
des courants et des vents du Pacifique 118 jours plus tard, il échoue sur Fille d'Aitutak
des
1 200 kilomètres de son point de
La chose me sauta aux yeux subitement : des algues flottalent maintenant sous
mon bateau, accrochées à la coque, et on devinait ici et là, nichés dessous, de
petites huitres, des coquillages, toutes sortes de mollusques... Je ne parvenais pas
à en détacher le regard. Ce spectacle, c'était celui qu'offrent les bateaux à
l'abandon, les épaves, les troncs d'arbre rejetés à la côte. C'est ainsi que la mer
signifie aux objets qu'ils lui appartiennent désormais, qu'elle a commencé sur eux
son lent travail de destruction, qu'elle est en train de les défaire petit à petit, de les
dissoudre... Rien n'aurait pu mieux me dire combien ma situation était difficile :
l'esquif qui me protégeait de la mort ne se défendait plus et il se laissait à présent
ronger comme un cadavre.
Combien de jours, combien de semaines d'errance immobile m'avait-il fallu pour en
arriver là ? Je continuais à observer les signes annonciateurs de ma propre
disparition quand je fus émerveillé par la quantité de petits poissons qui frayaient
dans mon ombre. On ne les voyait pas au premier regard, ils se tenaient en bancs
argentés, à différentes profondeurs, nageant imperceptiblement dans le courant, se
nourrissant certainement des algues et des organismes minuscules qui y
pullulaient. Mon dieu, me dis-je, et moi qui me croyais seul ! Je guettais sur l'horizon
lointain une vie qui füt à mon échelle, et cette vie se cachait là, sous moi. Je n'avais
eu qu'à me pencher pour la découvrir. La présence de ces poissons par centaines
qui m'accompagnaient, qui avaient élu domicile sous mon bateau parce qu'il leur
apportait leur subsistance quotidienne m'entraina dans une rêverie pleine de
souvenirs d'enfant. Petit, on nous racontait en forme de conte qu'avant d'être une
merre Tahiti avait été un grand poisson. [...] Oui, dans nos contes d'enfant, même les
erres prenaient un jour la mer pour découvrir d'autres horizons. Même les
montagnes. Et toujours les poissons accompagnaient ces longs voyages.
ae est décédé le 11 septembre 2010, à l'âge de soixante-quatre ans