Expliquer le texte suivant : La discipline' est donc utile, non pas seulement dans l'intérêt de la société, et comme le moyen indispensable sans lequel il ne saurait y avoir de coopération régulière, mais dans l'intérêt même de l'individu. C'est par elle que nous apprenons cette modération du désir sans laquelle l'homme ne saurait être heureux. Et, par là, elle contribue même, pour une large part, à former ce qu'il y a de plus essentiel en chacun de nous, je veux dire notre personnalité. Car cette faculté de contenir nos tendances, de résister à nous-mêmes, que nous acquérons à l'école de la discipline morale, est la condition indispensable à l'apparition de la volonté réfléchie et personnelle. La règle, parce qu'elle nous apprend à nous modérer, à nous maîtriser, est un instrument d'affranchissement et de liberté. J'ajoute que c'est surtout dans les sociétés démocratiques comme la nôtre qu'il est indispensable d'apprendre à l'enfant cette modération salutaire. Car, parce que les barrières conventionnelles, qui, dans les sociétés organisées sur d'autres bases, contenaient violemment les désirs et les ambitions, sont en parties tombées, il n'y a plus que la discipline morale qui puisse exercer cette action régulatrice dont l'homme ne peut se passer. Parce qu'en principe toutes les carrières sont ouvertes à tous, le désir de s'élever (socialement) est plus facilement exposé à se surexciter et à s'enfiévrer au-delà de toute mesure, jusqu'à ne plus connaître de limites. (...) Il ne s'agit nullement de dresser insidieusement l'enfant à une résignation quand même, d'endormir en lui les ambitions légitimes, de l'empêcher de regarder au-delà de sa condition présente; tentatives qui seraient en contradiction avec les principes mêmes de notre organisation sociale. Mais il faut lui faire comprendre que le moyen d'être heureux est de se proposer des objectifs prochains, réalisables, en rapport avec les capacités de chacun et de les atteindre, non de tendre nerveusement et douloureusement sa volonté vers des fins infiniment éloignées et par conséquent inaccessibles. Emile DURKHEIM, L'éducation morale (1903)​