Texte 2 Poil de Carotte, Jules Renard (1894)
SAUF VOTRE RESPECT
Peut-on, doit-on le dire? Poil de Carotte, à l'âge où les
autres communient, blancs de coeur et de corps, est resté mal-
propre. Une nuit, il a trop attendu,n'osant demander.
Il espérait, au moyen de tortillements gradués, calmer le
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Quelle prétention!
Une autre nuit, il s'est rêvé commodément installé contre
une borne, à l'écart, puis il a fait dans ses draps, tout innocent,
bien endormi. Il s'éveille.
Pas plus de borne près de lui qu'à son étonnement!
Mme Lepic se garde de s'emporter. Elle nettoie, calme,
indulgente, maternelle. Et même, le lendemain matin, comme
un enfant gâté, Poil de Carotte déjeune avant de se lever.
Oui, on lui apporte sa soupe au lit, une soupe soignée, où
Mme Lepic, avec une palette de bois, en a délayé un peu, oh!
très peu.
A son chevet, grand frère Félix et soeur Ernestine observent
Poil de Carotte d'un air sournois, prêts à éclater de rire au pre-
mier signal. Mme Lepic, petite cuillerée par petite cuillerée,
de donne la becquée à son enfant. Du coin de l'œil elle semble
dire à grand frère Félix et à soeur Ernestine:
«Attention ! préparez-vous !>
Oui, maman. >
Par avance, ils s'amusent des grimaces futures. On aurait
25 dù inviter quelques voisins. Enfin, Mme Lepic, avec un dernier
regard aux aînés comme pour leur demander: «Y êtes-
vous?», lève lentement, lentement la dernière cuillerée,
l'enfonce jusqu'à la gorge, dans la bouche grande ouverte de
Poil de Carotte, le bourre, le gave, et lui dit, à la fois gogue-
30 narde et dégoûtée:
- Ah! ma petite salissure, tu en as mangé, tu en as mangé,
et de la tienne encore, de celle d'hier
Je m'en doutais, répond simplement Poil de Carotte, sans
faire la figure espérée.
35 Il s'y habitue, et quand on s'habitue à une chose, elle finit
par n'être plus drôle du tout.
La situation d'énonciation
1. Quelle est la personne utilisée? Qui représente-t-elle ?
2. Quel est le temps employé?