👤

Rédaction de texte en parlons de la paix
Ce colonel, c'était donc un monstre ! À présent, j'en étais assuré, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu'il y en avoir beaucoup des comme lui dans 5 notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres sem- blables, cette imbécillité infernale pouvait conti- o nuer indéfiniment... Pourquoi s'arrêteraient-ils? Jamais je n'avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses. Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais- je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions 5 de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans che- vaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creu- D sant, se défilant, caracolant dans les sentiers, péta- o radant, enfermés sur la terre comme dans un caba- non, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enra- gés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés 5 que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique. On est puceau de l'Horreur, comme on l'est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette hor- o reur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu pré- voir, avant d'entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des Hommes. À présent, j'étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu... Louis-Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, Éd. Gallimard.​

© 2024 IDNLearn. All rights reserved.