Sagot :
Bonjour,
Avant le 18ème siècle, que ce soit dans le cosmos des grecs ou dans la vision du monde propre au christianisme au Moyen-Âge, on comprenait encore le beau comme une propriété intrinsèque de choses. On pensait que le beau était dans le monde lui-même et dans le objets qui le constitue et non dans le regarde que l'homme porte sur le monde. C'est donc une révolution intellectuelle qui a eu lieu au 18ème siècle et qui a consisté à faire basculer le beau de l'objectif au subjectif, c'est-à-dire à ne plus le considérer comme une propriété intrinsèque des choses mais à le définir désormais comme une émotion qui appartient au spectateur.
Le beau s'impose à tous ; il est l'objet d'une satisfaction universelle nous dit Kant. Le beau est désintéressé : il n'éveille aucun désir, il est pure complaisance dans la contemplation. Il n'est donc ni l'utile ni le bien: nous sommes intéressés à l'existence de l'un comme de l'autre. Kant estime que « le beau est ce qui plaît universellement sans concept ». C’est pour lui une impression produite par le libre jeu de l’imagination et de l’entendement.
Dire d'une chose qu'elle me plaît peut avoir deux significations :
La première signification, c'est assimiler ce qui nous plaît à l'agréable nous dit Kant. Par exemple, tel plat nous plaît, telle boisson nous plaît parce qu'elle est agréable. On voit bien ici que ce qui plaît est relatif à la constitution individuelle de la personne qui prononce le jugement. En d'autres termes, on peut dire que tel plat est agréable, mais on ne sera pas forcément choqué que notre voisin ne trouve pas ce plat à son goût. Le goût est une sensibilité immédiate. C’est tout de suite que je sais si quelque chose me plaît ou me déplaît, qu’il s’agisse d’un mets nouveau dans mon assiette ou d’une musique nouvelle à la radio. Assimiler ce qui plaît à l'agréable, c'est formuler un jugement subjectif, et cette subjectivité entraîne une relativité des jugements. Par exemple, si la musique techno ne me plaît pas, on aura beau me forcer à l’écouter ou tenter de me convaincre de sa beauté, cela ne changera pas mon goût. On ne peut pas me convaincre d’aimer parce que l’on ne peut convaincre qu’avec des concepts. Les goûts sont relatifs à chacun. Ce qui me plaît à moi ne plaît pas nécessairement à mon voisin.
Ce n'est pas exactement ce qui se passe dans le jugement du beau, dit Kant. Bien au contraire, ce qui caractérise le jugement du beau, c'est le fait que lorsque l'on dit que telle chose est belle, nous prétendons qu'elle devrait être jugée comme belle pour tout le monde. Quand on dit d'un objet ou d'une œuvre d'art qu'elle est belle, on est assez étonné que notre voisin quant à lui ne la trouve pas belle. Là ou par contre on trouvait un plat "bon", on pouvait accepter que notre voisin, en fonction de ses goûts, ne le trouve pas bon. Le beau à la différence du bon, le beau à la différence de l'agréable est un sentiment dont on estime qu'il devrait être partagé par tous. C'est la raison pour laquelle, dit Kant, le beau c'est ce qui plaît universellement.
Si on demande à une personne pourquoi il trouve tel objet "beau", il peut évoquer tout un tas de raisons, il reste qu'en dernière instance, ce qui fonde son jugement de goût, c'est le plaisir qu'il ressent à la contemplation de cet objet. En d'autres termes, on ne peut jamais démontrer rationnellement pourquoi on trouve une chose belle. Nous ne pouvons jamais trouver les raisons suffisantes qui explique le beau, puisque ce dernier se fonde sur un ressenti. C'est la raison pour laquelle, dit Kant, le beau est ce qui plaît sans concept, c'est-à-dire sans critères, sans normes, sans rien qui le définisse à l'avance.
Donc, finalement, le beau est un sentiment de satisfaction; il ne se confond pourtant pas avec l'agréable. Ce qui est agréable plaît aux sens (odeur de rose); ce qui est beau s'adresse à l'esprit (poème).
La beauté ne se réfère pas à un sentiment subjectif. Elle prétend s’élever à une valeur universelle. L’universalité n’est que de droit et non de fait. Cela se confirme par le fait que l’universalité du beau persiste même si certaines personnes ne comprennent rien aux œuvres. Cette universalité et cette nécessité sont reconnues sans concept. La valeur d'une œuvre ne se démontre pas par des raisonnements. Elle s'éprouve, ne se prouve pas.
Le beau ne peut pas ne pas plaire. Aucun sujet esthétique ne peut s’empêcher de rapprocher son jugement de goût d’un jugement de vérité. Le beau se présente à nous comme s’il possédait la force de l’évidence. Quand je juge que quelque chose est beau, je suis comme élevé au dessus de mon individualité particulière : je m’éprouve comme sujet universel.