Sagot :
Bonjour
Nous pourrions proposer, à partir de cette citation d’Oscar Wilde, une définition en négatif de l’Art : l’Art serait le contraire de la réalité. C’est de cette "véritable existence", que l’Art nous permet de nous échapper. En ce sens, l’Art est une fuite du véritable, une fuite vers un véritable plus grand situé dans un au-delà du monde réel. Mais parce que cette fuite est collective, elle ne saurait être illusion : l’homme étant la mesure de la réalité, une illusion n’en est plus dès lors qu’elle est partagée de tous. Ainsi la Vie, en tant qu’elle imite l’Art, est refus de la réalité : là où la faune et la flore ne fait qu’"être" dans une réalité close qui s’impose à eux, l’homme "vit" l’homme "existe", coiffant la Vie du masque de l’Art et s’échappant ainsi de l’univers circonscrit dans lequel il naît. Car l’homme ne peut venir au monde sans le transformer, et l’Art est précisément ce processus de transformation du réel en Vie, processus dont nous sommes les uniques maîtres et qui fonde simultanément notre spécificité et notre liberté. Jamais nous ne trouverons de réalité dans l’œuvre d’art : nous pouvons y trouver la Vie, mais ce ne sera toujours que la Vie en tant qu’elle imite l’Art, la Vie dissimulée derrière le masque de l’Art. Si en effet "La Vie imite l’Art bien plus que l’Art n’imite la Vie", alors nous pourrions pour définir ce qu’est l’Art –et dans le même temps, quelque part, ce qu’est la Vie-, emprunter les mots du compositeur Claude Debussy : "L’Art est le plus beau des mensonges".
Cette citation déconstruit l’une de nos illusions, la certitude de trouver en l’œuvre d’art un reflet de la Vie- pour nous confronter à une illusion bien plus grande : jamais nous ne voyons le monde tel qu’il est puisque c’est toujours à travers le prisme de notre vécu que nous le percevons. La Vie "imitant l’Art", ce prisme, c’est l’Art lui-même. Cette idée, bien loin de nous enfermer dans le solipsisme ou l’illusion, pose les bases de la liberté humaine : le genre humain crée collectivement sa mesure de la réalité, une réalité s’élevant par la dimension significative dont elle marque les choses du monde au-dessus d’une réalité première qui finalement n’existe pas puisqu’elle n’existe pour personne. L’Art recouvre et par la même détruit la réalité : il est son contraire, un refus, un échappatoire à sa trivialité.
Autrement dit l’Art est dans la Vie avant d’être dans l’œuvre, et l’artiste ne fait que l’abstraire de cette dernière pour mieux le mettre en valeur. "Tout art est inutile", nous dit Oscar Wilde dans la préface de Dorian Gray, et là peut être réside toute la grandeur de l’homme : dans son inutilité / dans les aspects inutiles de son existence.
