Sagot :
Bonjour
Nous pouvons tout d’abord formuler deux remarques concernant les notions de connaissance et d’ignorance. Premièrement, il apparaît qu’une connaissance exhaustive est impossible, voire inutile et tout savoir ou tout connaître est strictement impossible, cette perspective relevant d’un pur idéal, d’une utopie irréalisable. Il existe donc des limites à la connaissance humaine, comme en témoigne le domaine des sciences qui conduit à une vision asymptotique de la vérité, c’est-à-dire le fait de se rapprocher de plus en plus de la réalité objective mais sans ne jamais l’atteindre. Socrate, l’homme le plus sage de la Cité selon l’oracle déclare ainsi qu’il ne sait rien, reconnaissant ainsi la finitude du savoir humain et faisant preuve d’une certaine humilité. Selon lui, la pire aberration est le fait de croire savoir ce que l’on ignore en réalité. Nous pouvons ajouter que la notion même de connaissance peut être remise en question. Lorsque nous examinons nos connaissances, il semble qu’elles ne soient pour la plupart pas fondées. Descartes dans le Discours de la Méthode remet ainsi toutes ses connaissances en doute, jusqu’à l’existence de son propre corps, afin d’arriver à des certitudes fondées et indubitables. Il faut donc nuancer la valeur que nous accordons à la connaissance. De surcroît, l’hypothèse d’une connaissance exhaustive paraît tout simplement dangereuse. En effet, on peut être l’expert d’un domaine précis, et ainsi faire autorité dans ce domaine (critique d’art, journaliste politique, chef cuisinier…). Le domaine de connaissance que nous cultivons est un domaine qui correspond à nos ambitions, à nos désirs, à nos passions. Néanmoins l’hypothèse d’une connaissance complète de tous les domaines paraît dangereuse car les experts seraient ainsi dépassés, les limites humaines seraient repoussées conduisant à l’émergence d’une sorte de surhomme assimilé à Dieu. Nous pouvons enfin nous demander si une connaissance complète dans un domaine que nous n’affectionnons pas ou pour lequel nous n’avons aucun intérêt est une connaissance utile.
Deuxièmement, nous pouvons remarquer qu’une ignorance absolue est également impossible, comme nous l’avons déjà évoqué dans notre introduction. Nous ne pouvons donc pas condamner quelqu’un pour une ignorance absolue. Chacun possède un domaine dans lequel il possède des connaissances, que ce soit un domaine théorique (arts, sciences) ou pratique (la pratique d’un métier manuel, d’un sport…) sans forcément être expert dans ce domaine. Il est donc impossible de condamner quelqu’un pour son ignorance totale, il serait plus juste de préciser ignorant dans tel ou tel domaine.
L’hypothèse de ces deux extrêmes - connaissance exhaustive, ignorance totale - étant éconduite, nous pouvons tenter de formuler celle d’un équilibre entre savoir & ignorance. Il apparaît ainsi qu’il existe un savoir mesuré et une ignorance incontournable. Nous savons déjà pourquoi il est nécessaire de conserver une part d’ignorance, sans que celle-ci ne soit considérée comme un mal. Néanmoins la culture dans le sens de savoir est également important inévitable. Elle permet d’élargir nos perspectives, notre vision du monde, elle nous rend plus ouverts et compréhensifs. La culture nous donne plus de liberté et d’alternatives dans nos choix. C’est l’idée que développe Spinoza dans le Traité de la Réforme sur l’Entendement, dans lequel il affirme que la connaissance du monde permet d’avoir un rapport en accord avec la réalité et une liberté véritable puisqu’en connaissant le réel nous pouvons ainsi agir en conséquence. Cette vision de la culture n’est pas en désaccord avec la question du bonheur. Selon Sénèque dans les Lettre à Lucilius, pour être sage, il faut savoir. Non pas savoir sur tout, mais savoir tout ce qui permet à l’esprit de devenir vertueux. Pour lui, le savoir juste n’est pas un savoir pour savoir, mais un moyen pour nous apprendre à être sages.
Le savoir juste s’apparenterait ainsi d’une part à une humilité devant nos capacités limitées, et au fait d’admettre qu’il existe une part d’ignorance inévitable, et d’autre part à une connaissance qui correspondrait à la nature de chacun, à ses désirs et ses passions, et qui nous permettrait de devenir plus sages et plus libres.
L’ignorance est ainsi habituellement condamnée. Néanmoins lorsque nous examinons la question de l’ignorance de plus près, il apparaît qu’elle est nécessaire et inévitable et qu’elle présente plusieurs effets désirables. A l’inverse, la science peut être considérée comme un mal. Il faut donc chercher un équilibre entre la science qui permet de devenir meilleur et l’ignorance qui peut mener à de funestes conséquences. Il apparaît ainsi que nous devons reconnaître et accepter notre ignorance, tout en cherchant un savoir juste, en adéquation avec la personnalité de chacun, sans excès et dans la perspective de nous perfectionner.