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Sagot :

Réponse :

Le village était assiégé très tôt et bientôt paralysé par deux compagnies de SS. Les habitants furent sortis des maisons et rassemblés sur la place. Le toit d'une grange explosa. Je compris qu'il était inutile de chercher à fuir, je m'abritai dans une maison vide. Mes compagnons étaient hors du village et suivaient mes consignes. Les SS avaient attrapé un jeune homme qui avait posé des collets, paniqué, il allait être torturé et il parlerait. Je n'osais espérer qu'il meure avant. Tout à coup, une cohorte de femmes, de vieillards et d'enfants surgit, entourant les SS de façon naturelle, le jeune garçon fut laissé au sol. La patrouille surprise et furieuse s'éloigna. Je soulevai le rideau et me sentis infiniment relié et  proche de  ces êtres fraternels.

Explications :

Fragment 128 des Feuillets d'Hypnos

Le boulanger n'avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le  village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l'impossibilité de bouger. Deux compagnies  de SS et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs

mortiers. Alors commença l'épreuve.  Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place  centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d'oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de

l'ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l'effet d'une bombe.  Depuis quatre heures j'étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l'alerte.  J'avais reconnu immédiatement l'inutilité d'essayer de franchir le cordon de surveillance et de  gagner la campagne. Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai  autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre,  derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens  n'était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient

mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d'injures. Les SS avaient  surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures.  Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence.  Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s'empara de moi, chassa mon  angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance

contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il  parlerait. J'eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de  chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de  rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur  les SS, les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille  se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie,  maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de  lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais  à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.

J'ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.

René Char, Feuillets d'Hypnos, 1946

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