Sagot :
Réponse:
L'Amérique que reconnaissent et que conquièrent les Espagnols était très diverse. Elle constituait une marqueterie d'ethnies et de peuples, les uns nomades, vivant de chasse et de cueillette, organisés en bandes, certains s'adonnant à une agriculture itinérante, sans autorité au-dessus du village, d'autres enfin sédentaires, formant des chefferies ethniques hiérarchisées dont certaines réussissaient à s'imposer aux autres dans le cadre d'Empires ou de fédérations. Chacune de ces catégories représentait moins un stade du développement social qu'une forme d'adaptation à un milieu différent. Aucune n'offrait à l'envahisseur les mêmes avantages ni lui opposerait la même résistance. Les conquêtes les plus faciles et les plus lucratives eurent pour protagonistes les peuples habitués à vivre au sein de sociétés stratifiées et à dégager par leur travail de grands surplus que les Espagnols pourront détourner à leur profit. C'est ainsi que le Mexique et le Pérou qui avaient connu, avant 1500, une succession de grandes civilisations prenant appui sur les précédentes, seront les fleurons de l'Empire espagnol. A l'inverse, la conquête sera longue, difficile là où il n'existait aucun État centralisé ou aucune autorité au-dessus du chef de bande.
Les stratégies de domination puiseront à deux sources, l'une ibérique, l'autre préhispanique. Les conquérants empruntent beaucoup aux pratiques et institutions mises au point lors de la Reconquête de la péninsule ibérique contre l'Islam, à la fois croisade religieuse, guerre de frontière et entreprise de colonisation. Ils cherchent aux premiers contacts à se saisir du chef, à prendre des otages, à s'emparer de butin. Ils font d'abord une guerre totale, puis ils visent à transformer les vaincus en vassaux qui travailleront pour eux, sur le modèle des serfs ou des esclaves. Ainsi le gouverneur d'Hispaniola procède dès 1503 à une répartition des Indiens parmi les colons en adaptant une institution surgie dans l'Espagne médiévale, l'encomienda. Les Espagnols découvrent tôt qu'il leur faut pour faciliter le prélèvement du surtravail (sous la forme du tribut et de la corvée) et l'évangélisation (celle-ci rendant possible celui-là) regrouper les Indiens en des bourgs qui reproduiront l'aménagement du village castillan. Cette concentration contribua beaucoup à perturber le mode de gestion de l'espace qu'avaient développé les sociétés préhispaniques. Elle fut le socle du système de domination auquel collaborèrent les chefs locaux en tant que relais obligés entre leurs sujets et les nouveaux maîtres.
Les Espagnols réinterprètent ainsi à leur avantage les stratifications des sociétés qu'ils subjuguent, éliminant l'élite dirigeante, surtout religieuse et guerrière, cooptant les chefs locaux, s'attachant à titre d'auxiliaires ou de domestiques les membres de catégories placées dans la mouvance des élites ou sans attaches communautaires (naborías, mayeques, yanaconas, selon le cas), réorientant à leur profit les prestations paysannes. Ils conservent ce qui est pour eux l'essentiel, soit les mécanismes et les réseaux de prélèvement qui leur permettront d'obtenir des vaincus un volume de biens et de travail. C'est dans cette réappropriation et cette substitution que réside le secret d'une domination à la fois rapide et durable.
En effet, le succès de la conquête s'explique moins par une supériorité militaire (plus psychologique que technique) que par l'exploitation des divisions dont étaient porteurs les Empires aztèque et inca. Pour les peuples récemment conquis ou encore combattants, les Espagnols apparurent comme des libérateurs ou des alliés. C'est donc avec l'appui des Totonaques, des Tlaxcaltèques, des Cañaris et des Huancas que Cortés et Pizarre livrèrent leurs batailles décisives. Almagro écrasa les Quichés sans que les Cakchiquels n'interviennent, puis les réduisit à leur tour.
Les croyances jouèrent également en faveur des conquérants. L'arrivée des hommes blancs fut interprétée en fonction de mythes (sur le retour du dieu civilisateur), de prophéties et de présages. Accueillis comme des visiteurs ou comme des dieux (ils reçurent à ce titre cadeaux et femmes), les Espagnols s'attaquèrent aux temples, aux idoles et aux autres manifestations religieuses, conférant à leur invasion une dimension cosmique et faisant de leur victoire un indice de la supériorité de leur foi. La conquête spirituelle fut une entreprise menée tambour battant par des bataillons de moines-soldats. Pour efficace qu'elle fut au plan politique, la conversion se révéla être superficielle au niveau relig