Sagot :
Réponse:
C’est dans l’Amérique des années 1960 que Romain Gary plante le décor de Chien Blanc, roman autobiographique où l’auteur, ancien consul général de France à Los Angeles, aborde les aspects de sa vie aux côtés de Jean Seberg, icône hollywoodienne et actrice engagée pour les droits civiques des Noirs américains. C’est alors l’Amérique des émeutes de Watts, Baltimore et Chicago, de Martin Luther King, du président Johnson et de sa « Great society ». Gary observe d’une position privilégiée cette période où le pays sort en douleur de la ségrégation : il est plongé, par l’entourage de sa femme – adhérente de longue date de la NAACP (Association nationale pour la promotion des gens de couleur) et soutien des Black Panthers – dans l’engagement antiraciste du tout-Hollywood. Son roman Chien Blanc, publié en 1970 chez Gallimard, est l’occasion pour lui de compiler ses observations sur cette époque, sur cette lutte pour les droits civiques et ceux qui y participent, et particulièrement sur le gotha de Beverly Hills qu’il côtoie et qui embrasse passionnément – et médiatiquement – cette cause.
La rencontre du narrateur avec Batka, un berger allemand qu’il trouve devant sa porte un jour de février 1968, marque le point de départ de cette fresque ayant pour toile de fond une société américaine prise entre racisme et antiracisme. La relation qu’il tisse avec ce chien sert de fil rouge au récit. L’animal est un « chien blanc », c’est-à-dire un chien élevé dans le sud ségrégationniste des États-Unis, « spécialement dressé pour aider la police contre les Noirs ». Romain Gary le recueille et entreprend de le rééduquer. Dès les premières pages du récit, le lecteur est amené à discerner deux éléments dans la réflexion de l’auteur : premièrement, Batka est une allégorie de la haine. Deuxièmement, l’entreprise de sa rééducation porte la notion d’espoir et de rédemption. La haine est présentée comme un conditionnement, un dressage, qui peut être réversible : c’est par le dressage que Batka est devenu un « chien blanc », et c’est par le dressage qu’il sortira de cette condition. En filigrane, une réflexion sur l’éducation – le dressage de l’homme – émerge de cette histoire. Un certain humanisme, héritage philosophique pas moins délaissé alors qu’aujourd’hui, affleure à chaque étape du roman : une foi en l’homme éclairé, extrait de la peur, de la haine et de l’obscurantisme par le savoir. Le roman s’inscrit ainsi parfaitement dans l’œuvre romanesque de Romain Gary : du personnage de Morel, protecteur d’éléphants au temps des indépendances africaines dans Les Racines du ciel (1956) à celui d’Ambroise Fleury, artisan rêveur sous l’Occupation dans Les Cerfs-volants (1980), on retrouve pour trame cette réflexion sur l’Homme libre, penseur, délivré des chimères de son époque.