Sagot :
Réponse :
La ruralité comme objet d’étude géographique se développe principalement dans l’après Seconde Guerre mondiale, période d’affirmation de la recherche universitaire et de croisement de ses problématiques avec des politiques publiques marquées du sceau du volontarisme modernisateur et planificateur. Malgré cette autonomisation tardive de la géographie rurale, c’est toutefois la tradition vidalienne de l’étude régionale, volontiers centrée sur les aspects agraires ou pastoraux, à l’instar des travaux d’Albert Demangeon ou des chercheurs de l’Institut de géographie alpine réunis autour de Raoul Blanchard, qui constitue la matrice méthodologique de la spécialité. Pratique de l’enquête de terrain, recueil de données qualitatives auprès des maires, instituteurs et notables, et travail complémentaire sur les données d’archives et sur les ressources de la statistique publique, constituent le cœur de l’enseignement des vieux maîtres en charge de la formation de la génération de l’après-guerre. À Grenoble, à Clermont-Ferrand ou à Rennes, les étudiants se pressent pour comprendre les enjeux des mutations qui affectent leur espace de vie, et qui commencent à se lire dans les paysages et sur les cartes. De manière emblématique, c’est le surgissement du tracteur, machine de guerre contre les vieux finages, qui fascine alors les géographes, à l’instar de Daniel Faucher, qui publie en 1954 Le paysan et la machine (Faucher, 1954) pour ensuite emmener les géographes dans l’aventure de la création de la revue pluridisciplinaire Études rurales en 1961.
Avec sa thèse sur la Grande Limagne, Max Derruau est peut-être le dernier représentant d’une école géographique qui allie pleinement géomorphologie, lecture des archives et observation des pratiques contemporaines (Derruau, 1949). Si toutefois les géographes ruralistes de la nouvelle génération délaissent quelque peu les études de géographie physique qui constituaient encore le socle de compétences de leurs prédécesseurs, ils n’en gardent pas moins l’idéal d’une saisie la plus dense possible des espaces qu’ils se donnent pour objets d’étude. Certes, il n’est plus question de produire des analyses exhaustives, construites selon des « plans à tiroirs », qui ne permettent ni la comparaison ni l’analyse synthétique des potentialités des régions étudiées. Désormais, on pose des questions, on explore des hypothèses, on observe des organisations ou des institutions – les filières de production, les collectivités, les mutations foncières. Malgré tout, ces nouvelles manières de problématiser la géographie n’excluent pas le souci de préserver ce qui faisait l’originalité de la discipline, à savoir son aptitude à embrasser du regard l’intrication des phénomènes physiques et humains, des éléments fixes et des formes de circulation, le tout dans une perspective comparée bien plus précoce et hardie que celle des historiens, tout d’abord à l’échelle européenne, dans la dynamique de l’unification économique de l’Europe de l’Ouest, puis à l’échelle mondiale, dans l’élan de curiosité, souvent d’empathie, que génère la décolonisation.
Or, c’est justement ce sens de l’observation globale qui permet aux géographes de l’après-guerre de prendre précocement conscience de l’intensité des mutations qui affectent non seulement la vie économique et sociale des espaces ruraux, mais plus radicalement leur identité rurale elle-même. Considérée jusqu’alors comme un fait de longue durée, la ruralité se révèle étonnamment plastique, non seulement par la dissociation de ses constituants anciens – les formes de l’habitat et les activités agricoles –, mais également par métissage de ses aspects propres avec certains traits urbains, comme l’habitat pavillonnaire qui surgit dans le paysage de la France des « trente glorieuses », ou encore la consommation touristique de paysages agraires, jusqu’ici limitée aux espaces du « sauvage » et du « pittoresque » maritimes ou montagnards.
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