Sagot :
Réponse :
Ce texte parle des droits des femmes notamment du droit à l'avortement.
Pour Gisèle Halimi.
Vous avez défendu la cause des femmes. Vous avez utiliser votre statut d'avocate pour plaider leur cause. heureusement, beaucoup de femmes n'avaient pas la parole et les lois pour les femmes étaient faites par des hommes. Vous avez été une voix pour les sans-voix.
Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord entre mon métier qui est de plaider, qui est de défendre, et ma condition de femme. (…) Si notre très convenable déontologie prescrit aux avocats le recul nécessaire, la distance d’avec son client, sans doute n’a-t-elle pas envisagé que les avocates, comme toutes les femmes, étaient des avortées, qu’elles pouvaient le dire, et qu’elles pouvaient le dire publiquement comme je le fais moi-même aujourd’hui. (…)
La narration
Ce que j’essaie d’exprimer ici aujourd’hui, est que je m’identifie précisément et totalement avec Mme Chevalier et avec ces trois femmes présentes à l’audience, avec ces femmes qui manifestent dans la rue, avec ces millions de femmes françaises et autres. Elles sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique quotidienne.
La confirmation
Et si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge, c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi à laquelle je dénie toute valeur, toute applicabilité, toute possibilité de recevoir aujourd’hui et demain le moindre sens, que parce que cette loi est la pierre de touche de l’oppression qui frappe la femme. (…) C’est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans argent et des sans relations qui est frappée. Voilà vingt ans que je plaide, Messieurs. (…) Je n’ai encore jamais plaidé pour la femme d’un haut commis de l’État, ou pour la femme d’un médecin célèbre, ou d’un grand avocat, ou d’un PDG de société, ou pour la maîtresse de ces mêmes messieurs. Cela s’est-il trouvé dans cette enceinte de justice ou ailleurs ? Vous condamnez toujours les mêmes, les “Madame Chevalier” (…) Retournons aux sources. Pour que Marie-Claire, qui s’est trouvée enceinte à 16 ans, puisse être poursuivie pour délit d’avortement, il eut fallu prouver qu’elle avait tous les moyens de savoir comment ne pas être enceinte, et tous les moyens de prévoir. Ici Messieurs j’aborde le problème de l’éducation sexuelle. Vous avez entendu les réponses des témoins. Ce que je voudrais savoir, c’est combien de Marie-Claire en France ont appris qu’elles avaient un corps, comment il était fait, ses limites, ses possibilités, ses pièges, le plaisir qu’elles pouvaient en prendre et en donner ? Combien ? Très peu, j’en ai peur. (…) Je voudrais savoir combien de parents – et je parle des parents qui ont les moyens matériels et intellectuels de la faire – abordent tous les soirs autour de la soupe familiale l’éducation sexuelle de leurs enfants. Madame Chevalier, on vous l’a dit, n’avait pas de moyens matériels et elle n’avait pas elle-même reçu d’éducation sexuelle. (…) Pourquoi ne pratique-t-on pas l’éducation sexuelle dans les écoles puisqu’on ne veut pas d’avortement ? Parce que nous restons fidèles à un tabou hérité de nos civilisations judéo-chrétiennes qui s’opposent à la dissociation de l’acte sexuel et de l’acte de procréation. Ils sont pourtant deux choses différentes. Ils peuvent être tous les deux actes d’amour, mais le crime des pouvoirs publics et des adultes est d’empêcher les enfants de savoir qu’ils peuvent être dissociés. (…) Supposez que Marie-Claire ait décidé d’avoir cet enfant. Pensez-vous véritablement qu’elle aurait pu le garder, l’éduquer décemment, le rendre heureux et continuer de s’épanouir elle-même ? (…)
La péroraison
Dire que la loi, bonne ou mauvaise, est la loi, est un refus de prendre ses responsabilités, et aussi – je le dis très franchement – ce n’est pas digne de ce que doit être la magistrature. (…) On vous dit que vous devez “dire le droit”. Mais “dire le droit” n’a jamais voulu dire devenir une justice robot et se désintéresser des grands problèmes de notre vie. (…) A-t-on encore le droit aujourd’hui en France, dans un pays que l’on dit civilisé, de condamner des femmes pour avoir disposé d’elles-mêmes ou pour avoir aidé l’une d’entre elles à disposer d’elle-même ? (…) Ce jugement de relaxe sera irréversible, et à votre suite, le législateur s’en préoccupera.
Explications :