Sagot :
Réponse :
Nature et loi, le plus souvent, se contredisent.
Donc, bien sûr, si on a honte, si on n’ose pas dire ce qu’on pense, on est forcé de se contredire. Voilà, c’est cela, le truc que tu as fini par comprendre, et tu t’en sers avec mauvaise foi dans les discussions. Si quelqu’un parle de ce qui est conforme à la loi, tu l’interroges sans qu’il le voie sur ce qui est conforme à la nature, et s’il te parle de la nature, tu l’amènes à te répondre sur la loi. C’est ce qui s’est passé tout à l’heure, quand vous parliez de commettre l’injustice et de la subir, Polos te disait qu’il était plus vilain de la commettre en se référant à la loi, et tu t’es mis à harceler ce qu’il disait comme s’il l’avait dit par rapport à la nature !
En effet, dans l’ordre de la nature, le plus vilain est aussi le plus mauvais : c’est subir l’injustice; en revanche, selon la loi, le plus laid, c’est la commettre. L’homme qui se trouve dans la situation de devoir subir l’injustice n’est pas un homme, c’est un esclave, pour qui mourir est mieux que vivre s’il n’est même pas capable de se porter assistance à lui-même, ou aux êtres qui lui sont chers, quand on lui fait un tort injuste et qu’on l’outrage.
Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois, j’en suis sûr. C’est donc en fonction d’eux‑mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu’ils attribuent des louanges, qu’ils répartissent des blâmes. Ils veulent faire peur aux hommes plus forts qu’eux et qui peuvent leur être supérieurs. C’est pour empêcher que ces hommes ne leur soient supérieurs qu’ils disent qu’il est laid, qu’il est injuste, d’être supérieur aux autres et que l’injustice consiste justement à vouloir avoir plus que les autres. Car, ce qui plaît aux faibles, c’est d’avoir l’air d’être égaux à de tels hommes, alors qu’ils leur sont inférieurs.
Et quand on dit qu’il est injuste, qu’il est laid, de vouloir avoir plus que la plupart des gens, on s’exprime en se référant à la loi. Or, au contraire, il est évident, selon moi, que la justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le moins fort. Partout il en est ainsi, c’est ce que la nature enseigne, chez toutes les espèces animales, chez toutes les races humaines et dans toutes les cités ! Si le plus fort domine le moins fort et s’il est supérieur à lui, c’est là le signe que c’est juste.
De quelle justice Xerxès s’est‑il servi lorsque avec son armée il attaqua la Grèce, ou son père quand il fit la guerre aux Scythes ? et encore, ce sont là deux cas parmi des milliers d’autres à citer ! Eh bien, Xerxès et son père ont agi, j’en suis sûr, conformément à la nature du droit ‑ c’est‑à‑dire conformément à la loi, oui, par Zeus, à la loi de la nature ‑, mais ils n’ont certainement pas agi en respectant la loi que nous établissons, nous !
Chez nous, les êtres les meilleurs et les plus forts, nous commençons à les façonner, dès leur plus jeune âge, comme on fait pour dompter les lions ; avec nos formules magiques et nos tours de passe‑passe, nous en faisons des esclaves, en leur répétant qu’il faut être égal aux autres et que l’égalité est ce qui est beau et juste. Mais, j’en suis sûr, s’il arrivait qu’un homme eût la nature qu’il faut pour, secouer tout ce fatras, le réduire en miettes et s’en délivrer, si cet homme pouvait fouler aux pieds nos grimoires, nos tours de magie, nos enchantements, et aussi toutes nos lois qui sont contraires à la nature ‑ si cet homme, qui était un esclave, se redressait et nous apparaissait comme un maître, alors, à ce moment‑là, le droit de la nature brillerait de tout son éclat."