Sagot :
Le temps des vacances revenu, nous sommes allés, mon frère et moi, passer
comme chaque été une quinzaine de jours chez notre grand-père à la
campagne. Dans la voiture, nous jubilions
au plaisir anticipé des longues courses dans les champs, des promenades dans
les bois odorants et des cueillettes de fruits dans le verger. Une fois nos parents repartis, non sans nous
avoir fait les recommandations d’usage « d’être bien sages », nous
apprêtions donc à organiser notre première escapade que notre papy nous fit une
drôle de recommandation :
- Les enfants, vous pouvez aller où bon vous semble. Mais je ne veux PAS que vous alliez près du
ruisseau, au-delà des champs du fond du verger.
Et j’insiste, c’est très important ! Le dernier orage a provoqué une crue et un
mouton s’y est noyé.
Impressionnés, nous n’osions pas le questionner ni même nous
regarder. Mon frère regardait papy avec
des yeux ronds et se mit à sucer son pouce.
Je devinais déjà les questions dont il allait me bombarder dès que nous
serions seuls. Papy nous demanda alors si
nous avions bien compris, avec la grosse voix dont il était capable. Pas d’autre choix que de hocher de la tête
sans oser poser de question.
Ce jour-là, on en parla entre nous.
Nous nous demandions bien à quoi pouvait ressembler un ruisseau qui
noyait un mouton et notre cœur battait la chamade à l’idée d’aller y voir,
juste un peu, pour voir. En fait, nous brûlions de curiosité. Alors, on
échafauda un plan. Il suffirait de
traverser le verger quand papy serait au potager, courir dans les champs et une
fois au-dessus de la pente, jeter un coup d’œil, juste pour en avoir le cœur net.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Un
moment d’inattention de papy et hop, nous dévalions déjà le verger. Alors que
nous arrivions en haut de la colline des champs, on s’arrêta pour reprendre
notre souffle. Notre cœur battait fort et l’excitation était à son comble ; un petit coup d’œil nous a juste permis d’entrevoir
le lacet que faisait le ruisseau en contre-bas. Un coup de coude à mon frère
lui signifia qu’on allait voir de plus près.
D’abord, il ne voulait pas braver plus loin l’interdiction. Alors, je
lui dis que j’irais seule car je n’avais pas fait tout ce chemin pour « voir »
à moitié. Alors il se décida à m’emboîter
le pas et me suivis de plus en plus près du ruisseau. Le ruisseau était paisible et caracolait
tranquillement dans les prés. Du coup, on en a oublié l’interdiction de papy et
on s’en est rapprochés. Le glouglou de l’eau
était tellement joli ! Et les
fleurs qui bordaient la rive ! Et
tous ces petits cailloux qu’on s’était mis à ramasser pour aussitôt les jeter
dans l’eau ! C’était amusant, et le
plaisir d’enfreindre la règle rendait le plaisir plus piquant encore… jusqu’au
moment où mon petit frère s’est trop penché et est tombé dans l’eau, assis sur
son derrière. Il s’est alors mis à
pleurer en disant qu’il ne voulait pas mourir noyé. Je l’aidai alors à quitter l’eau et on
entreprit la marche de retour.
Alors qu’on arrivait à la maison pas le verger, papy nous appelait de
sa voix tonitruante. Lorsqu’il vit notre
triste état, il comprit immédiatement ce que nous avions fait. Il nous dit alors :
- Heureusement qu’il n’a pas plu. Mais vous, mes enfants, vous allez
apprendre ce que veut dire obéir.
C’est ainsi qu’il nous força à faire chaque jour des devoirs de
vacances.
C’est sûr qu’on a plus eu envie d’y retourner, et je l’ai appris plus
tard, ce n’est pas un mais deux moutons qui s’étaient noyés dans le
ruisseau. Comme quoi, les adultes savent
parfois de quoi ils parlent !