Sagot :
se révolte contre
sa vieille famille aristocratique un peu déchue (son père, le baron Arminius
Laverse du Rondeau, qui veut devenir duc mais est persuadé d’être la victime
d’un complot des Jésuites ; sa mère, Konradine, la fille d’un général allemand
qui rêve d’armées et de batailles ; son oncle qui, à demi Ottoman, est
passionné d’apiculture et d’hydraulique), contre son précepteur, l’abbé Fauchelafleur
(un vieux janséniste gagné par les idées nouvelles), surtout contre sa sœur,
Baptiste, qui triomphe des palefreniers au jeu du bras de fer, chasse le rat,
la nuit, un chandelier à la main, un fusil sous le bras, cultive des lubies
culinaires, étant spécialiste des croquettes au foie de rat, des pattes de
sauterelles, des queues de porc rôties enroulées en forme de gimblettes,
préparant avec un malin et sadique plaisir des escargots sous maintes formes
pour les déjeuners en famille. Comme, ce jour-là, elle est parvenue à décapiter
des escargots pour piquer «ces têtes
molles de petits chevaux avec un cure-dents, je pense, sur autant de beignets»,
Côme refuse de manger une fois de plus ces mollusques, et est chassé de la
table. Il monte alors dans un arbre, comme les garçons de son âge sont habitués
à le faire. Mais, contrairement aux autres garçons, il n’allait jamais en
descendre.
Or, comme, tout
autour de lui, branches et feuilles poussent, se divisent, se rejoignent, il
peut, d'un «léger pas d'écureuil», circuler
de branche en branche et d’arbre en arbre, avec une «obstination surhumaine» (comme le dit Blaise, son jeune frère qui,
seul personnage ordinaire dans son entourage, est tout naturellement le
narrateur du roman). La bravade devenant une sorte d'idéal (comment réussir ce
que tous affirment être impossible?), il ne met plus jamais le pied à terre.
D’en haut, il observe la vie des humains d’en bas avec plus de clarté, dit-il,
avec ironie mais non sans charité, voulant prouver à ses contemporains le vrai
sens de la liberté et de l'intelligence, leur démontrer surtout qu’ils
n'agissent qu'en balourds et à l'étourdie, qu'ils vivent dans une morne
routine,
dans la
médiocrité, tant dans leur rapport à la nature que dans leurs amours, tellement
dépourvues de folie, ou dans leur engagement historique.
Après les années de formation passées à
maîtriser ce mode de vie arboricole, à apprendre à passer d'arbre en arbre,
sans jamais toucher le sol, devenu un Robinson qui se livre à la chasse pour se
nourrir et se vêtir (car il n'a pas gardé ses cheveux poudrés, sa queue nouée
d'un ruban, sa cravate de dentelle, son petit habit vert à basques, ses
culottes mauves, ses longues guêtres de peau blanche et son épée au côté), puis
pour améliorer son confort, qui s’est forgé un caractère, il s'instruit. Il lit
des milliers de livres, entassant parmi les branches toute l'’’Encyclopédie’’ de Diderot et de
d'Alembert, «au fur et à mesure qu'ils
lui parvenaient par un libraire de Livourne». Il est en correspondance avec
Rousseau et Voltaire, qui s'interroge sur son «cas». Il s’intéresse à la
botanique. Il apprend la typographie afin d'imprimer de petits périodiques
excentriques. Il invente des systèmes hydrauliques, accumulant des barils d'eau
en prévision des incendies. Il collabore avec les paysans d'Ombreuse, taillant
les arbres pour un salaire modique. Il entretient des amitiés (notamment avec
Jean-des-Bruyères, un bandit de grand chemin que la lecture des romans anglais
du XVIIIe siècle, en particulier ‘’Clarisse
Harlowe’’, amène à renoncer à ses méfaits ; et avec une colonie d’exilés
espagnols, contraints de vivre comme lui sur les branches des arbres). Il mène
de sa vigie une bataille contre des pirates barbaresques qui enlèvent son
oncle, qui est musulman. En équilibre sur un drap étendu, il livre un duel
contre un ennemi jésuite. Il adhère brièvement à la franc-maçonnerie. Il
conduit, en «patriote perché», la
révolte des citoyens d’Ombreuse contre la dîme. Il appuie les troupes françaises
envahissant l’Italie. Il séduit même des femmes en véritable libertin, car
elles semblent apprécier particulièrement de séjourner «en l’air» ; il tombe
ainsi amoureux de la blonde Violette, une marquise fantasque, impétueuse,
éprise d'absolu et donc sensible à son originalité, leur idylle durant vingt
ans jusqu’à ce que, lassée de cette vie aventureuse, elle décide de quitter lui
et son mode de vie trop particulier. Cette expérience l’ayant brisé totalement,
il mène ensuite une existence d'ermite, s'exprimant avec la nature et les animaux.