a sujen vain.
Combien de temps
NUT
Il avait toujours été fasciné par la publicité à la télévision. Il n'en manquait jamais aucune,
les jugeait pleines d'humour, d'invention, et même les films intéressaient moins que les
coupures publicitaires dont ils étaient lardés. Et pourtant la pub ne le poussait guère à la
consommation effrénée, loin de là. Sans être avare, ni particulièrement économe, il n'associat
pas du tout la publicité à la notion d'achat.
Jusqu'au jour où il abandonna son apathie d'avaleur d'images pour prendre quelque recul
et constater que la plupart des pubs ménagères, alimentaires, vacancières ou banalement
utilitaires étaient toutes, d'une façon ou d'une autre, fondées sur la notion du plus, de la réussite
à tous les niveaux, de la santé à toute épreuve, de l'hygiène à tout prix, de la force et de la
beauté obtenues en un seul claquement de doigt.
Or, il avait toujours vécu avec la conscience d'être un homme fort peu remarquable, ni
bien séduisant ni tellement laid, de taille moyenne, pas très bien bâti, plutôt fragile, pas
spécialement attiré par les femmes et fort peu attirant aux yeux de ces mêmes femmes. Bref, il
se sentait dans la peau d'un homme comme tant d'autres, anonyme, insignifiant, impersonnel.
Il en avait souffert parfois, il s'y était fait à la longue. Jusqu'au jour où, brusquement.
toutes les publicités engrangées lui explosèrent dans la tête pour se concentrer en un seul flash
aveuglant, converger vers une volonté bouleversante qui pouvait se résumer en quelques mots :
il fallait que ça change, qu'il devienne une bête de consommation pour s'affirmer un autre, un
plus, un must, un extrême, un miracle des mirages publicitaires.
Il consacra toute son énergie et tout son argent à atteindre ce but: se dépasser lui-même.
Parvenir au stade suprême: celui d'homme de son temps, de mâle, de héros de tous les jours,
tous terrains, toutes voiles dehors.
C'est sur le rasoir Gillette qu'il compta pour décrocher la perfection au masculin et
s'imposer comme le meilleur de tous en tout dès le matin. La joie de vivre, il lingurgita en
quelques minutes grâce à deux tasses de Nescafé. Après s'être rasé, il s'imbiba de Savane,
l'eau de toilette aux effluves sauvages qui devaient attirer toutes les femmes, à l'exception des
laiderons, évidemment. Et pour mettre encore plus d'atouts dans son jeu, en sortant de son bain,
il s'aspergea de City, le parfum de la réussite. Sans oublier d'avaler son verre d'eau d'Evian, la
seule qui devait le mener aux sources pures de la santé. Il croqua ensuite une tablette de Nestlé,
plus fort en chocolat, ce qui ne pouvait que le rendre plus fort dans la vie. Puis il décapsula son
Danone se délectant de ce yaourt spermatique, symbole visuel de la virilité. Et termina par
quelques gorgées de Contrex, légendaire contrat du bonheur.


Sagot :