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L'action du roman se situe vers 1930, dans rindochine française, à répoque de la colonisation.
La mère de la narratrice, venue de France, vit pouvrement avec ses deux enfants, sur des
terrains incultivables qui lui ont été vendus par des employés de l'administration coloniale : ces
terres sont périodiquement envahies par la mer. La scène évoquée ci-dessous se déroule dans
la petite maison de la famille qui se trouve près d'un fleuve, le Mékong.


« Ma mère, ça la prend tout à coup, vers la fin de l'après-midi, surtout à la saison sèche, elle
fait laver la maison de fond en comble, pour nettoyer elle dit, pour assainir, rafraichir. La
maison est bâtie sur un terre-plein qui risole du jardin, des serpents, des scorpions, des
fourmis rouges, des inondations du Mékong, de celles qui suivent les grandes tornades de la
mousson. Cette élévation de la maison sur le sol permet de la laver à grands seaux d'eau, à la
baigner tout entière comme un jardin. Toutes les chaises sont sur les tables, toute la maison
ruisselle, le piano du petit salon a les pieds dans l'eau. L'eau descends par les perrons, envahit
le préau vers les cuisines. Les petits boys sont très heureux, on est ensemble avec les petits
boys, on s'asperge, et puis on savonne le sol avec du savon de Marseille. Tout le monde est
pieds nus, la mère aussi. La mère rit. La mère n'a rien à dire contre rien. La maison tout entière
embaume, elle a l'odeur délicieuse de la terre mouillée après l'orage, c'est une odeur qui rend
fou de joie surtout quand elle est mélangée à l'autre odeur, celle du savon de Marseille, celle
de la pureté, de l'honnêteté, celle du linge, celle de la blancheur, celle de notre mère, de
l'immensité de la candeur de notre mère. L'eau descend jusque dans les allées. Les familles
des boys viennent, les visiteurs des boys aussi, les enfants blancs des maisons voisines. La
mère est très heureuse de ce désordre, la mère peut être très très heureuse quelquefois, le
temps d'oublier, celui de laver la maison peut convenir pour le bonheur de la mère. La mère
va dans le salon, elle se met au piano, elle joue les seuls airs qu'elle connaisse par cœur, qu'elle
a appris à l'Ecole normale. Elle chante. Quelquefois elle joue, elle rit. Elle se lève et elle danse
tout en chantant. Et chacun pense et elle aussi la mère que l'on peut être heureux dans cette
maison défigurée qui devient soudain un étang, un champ au bord d'une rivière, un gué, une
plage.
Ce sont les deux plus jeunes enfants, la petite fille et le petit frère, qui les premiers se
souviennent. Ils s'arrêtent de rire tout à coup et ils vont dans le jardin où le soir vient. »

M. Duras, L'Amant, 1984.

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