Bonsoir, pourriez vous m’aider



La vérité est que, au plus profond de l'attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le
plus souvent, la tentation de l'élimination. Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c'est moins la vie
du criminel emprisonné que la peur qu'il récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet
égard, est que le criminel soit mis à mort par précaution.
Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence. Au-
delà de la justice d'expiation, apparaît donc la justice d'élimination; derrière la balance, la
guillotine. L'assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît
si simple, et tout paraît si juste!
Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d'élimination, au nom de la justice, il
faut bien savoir dans quelle voie on s'engage. Pour être acceptable, même pour ses partisans, la
justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. Notre justice, et c'est son honneur, ne
tue pas les déments. Mais elle ne sait pas les identifier à coup sûr, et c'est à l'expertise psychiatrique,
la plus aléatoire, la plus incertaine de toutes, que, dans la réalité judiciaire, on va s'en remettre.
(217 mots)
Robert Badinter, Discours à l'Assemblée nationale lors des débats sur
l'abolition de la peine de mort en France, 1981