Ovide. Les Métamorphoses (1er s.) La fascination pour son propre reflet est un motif hérité du mythe de Narcisse dans Les Métamorphoses. À sa naissance, un oracle prédit à ce jeune homme d'une beauté exceptionnelle une vie heureuse à une condition: « s'il ne se connaît pas ». Un jour, Narcisse arrive auprès d'un cours d'eau.... C'est là que, fatigué de la chasse et de la chaleur du jour, Narcisse vint s'as- seoir, attiré par la beauté, la fraicheur, et le silence de ces lieux. Mais tandis qu'il apaise la soif qui le dévore, il sent naître une autre soif plus dévorante encore. Séduit par son image réfléchie dans l'onde, il devient épris de sa propre beauté. > Il prête un corps à l'ombre qu'il aime; il s'admire, il reste immobile à son aspect, et tel qu'on le prendrait pour une statue de marbre de Paros. Penché sur l'onde, il contemple ses yeux pareils à deux astres étincelants, ses cheveux dignes d'Apollon et de Bacchus, ses joues colorées des fleurs brillantes de la jeunesse, l'ivoire de son cou, la grâce de sa bouche, les roses et les lis de son teint : il admire enfin la beauté qui le fait admirer. Imprudent ! il est charmé de lui-même : il est à la fois l'amant et l'objet aimé ; il désire, et il est l'objet qu'il a désiré; il brûle, et les feux qu'il allume sont ceux dont il est consume. Ah ! que d'ardents baisers il imprima sur cette onde trompeuse ! combien de fois vainement il y plongea ses bras croyant saisir son image! Il ignore ce qu'il voit ; mais ce qu'il voit l'enflamme, et l'erreur 15 qui flatte ses yeux irrite ses désirs. [...] Il déchire sa robe, découvre et frappe son sein qui rougit sous ses coups. Telle la pomme à sa blancheur mélange l'incarnat; telle la grappe à demi colorée se peint de pourpre aux rayons du soleil. Mais l'onde est redevenue transparente; Narcisse y voit son image meurtrie. Soudain sa fureur l'abandonne; et, comme la cire fond auprès d'un feu léger; ou comme la rosée se dissipe aux premiers feux de l'astre du jour : ainsi, brûlé d'une flamme secrète, l'infortuné se consume et périt. Son teint n'a plus l'éclat de la rose et du lis; il a perdu cette force et cette beauté qu'il avait trop aimée, cette beauté qu'aima trop la malheureuse Écho'. Livre III, traduit par G. T Villenave, 1806.