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COMMENTAIRE À RENDRE POUR LE 16 DÉCEMBRE
Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles (1991), extrait.
[Dans l'incipit du roman, le narrateur présente tour à tour cinq condamnés à mort qui se sont volontairement mutilés pour fuir l'horreur de la Première guerre mondiale. Cet extrait fait le portrait du deuxième condamné. ]

Le deuxième soldat aux bras liés avec de la corde était le 40771 d'un autre bureau de la
Seine. Il gardait encore une plaque avec ce numéro sous sa chemise mais tout le reste, signes et insignes, et même les poches de sa veste et de sa capote?, lui avait été arraché comme à ses compagnons. Il avait glissé, à l'entrée des boyaux3, et ses vêtements trempés le glaçaient
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jusqu'au cœur, mais peut-être n'était-ce qu'un mal pour un bien car le froid avait engourdi la douleur de son bras gauche, qui le tenait sans repos depuis plusieurs jours, et son esprit aussi, en sommeil de la peur, qui n'entrevoyait plus ce vers quoi il marchait, sinon comme la fin d'un mauvais rêve.
Il était caporal, avant ce rêve, parce qu'il en fallait un et que ceux de sa section avaient
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voulu qu'il le soit, mais il détestait les grades. Il avait la certitude qu'un jour les hommes
espoir
seraient libres et égaux entre eux, les soudeurs avec tous les autres. Il était soudeur à Bagneux, près de Paris, il avait une femme, deux filles, et des phrases merveilleuses dans la tête, des phrases apprises par cœur qui parlaient de l'ouvrier, partout dans le monde, et qui disaient - oui, il savait bien depuis plus de trente ans, ce qu'elles disaient, et son père, qui lui avait raconté
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si souvent le temps des cerises*, le savait aussi.
Il savait depuis toujours - son père, qui le tenait de son père, lui avait mis ça dans le sang
- que les pauvres font de leurs mains les canons pour se faire tuer mais que ce sont les riches qui les vendent. Il avait essayé de dire ça aux cantonnements, dans des granges, dans des cafés de village, quand la patronne allume les lampes à pétrole et que les gendarmes vous supplient
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de rentrer, vous êtes tous des braves gens, soyez raisonnables, rentrez. Il ne parlait pas bien, il n'expliquait pas bien. Et il y avait tant de misère, chez les bonhommes, et le vin qui est le compagnon de la misère abrutissait tant leur regard qu'il savait encore moins comment les atteindre.
Quelques jours avant Noël, alors qu'il montait en ligne, le bruit avait couru de ce que
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certains avaient fait. Il avait chargé son fusil et il s'était tiré une balle dans la main gauche, très vite, sans regarder, sans se donner le temps de réfléchir, juste pour être avec eux. Dans cette salle de classe où on l'avait condamné, ils étaient vingt-huit à avoir agi de la même façon. Il était content, oui, content et presque fier qu'il y en ait eu vingt-huit. Même s'il ne devait pas le voir, puisque le soleil se couchait pour la dernière fois, il savait qu'un jour viendrait où les
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Français, les Allemands et les Russes - « et la calotte avec nous », il disait -, un jour viendrait où plus personne ne voudrait se battre, jamais, pour rien. Enfin, il le croyait. Il avait les yeux bleus, de ce bleu très pâle piqué de tous petits points rouges qu'ont quelquefois les soudeurs.

1 4077 : numéro de matricule que porte le soldat et qui permet de l'identifier.
2 Capote : manteau militaire, ample et lourd.
3 Boyaux : galeries, tranchées.
4 Le temps des cerises : allusion à une romance écrite en 1866, qui fut dédiée à une infirmière de la Commune.
Elle est considérée aujourd'hui comme un chant révolutionnaire.
5 Cantonnements : troupes installées temporairement dans un lieu déterminé.
° La calotte : expression qui désigne le clergé.

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