On n'entendit plus du tout parler du petit Jean Vallin Les parents, chaque mois
allaient toucher leurs cent vingt francs chez le notaire; et ils étaient fächés avec
leurs voisins parce que la mère Tuvache les agonisait dignominies, répétant sans
cesse de porte en porte qu'il fallait être dénaturé pour vendre son enfant, que c'était
une horreur, une saleté, une corromperie
Et parfois elle prenait en ses bras son Charlot avec ostentation, lui criant
comme s'il eût compris:-Jrai pas vendu, mé, j't'ai pas vendu, mon p'tot J
vends pas m's éfants, mé. J seus pas riche, mais vends pas m's éfants
Et pendant des années et encore des années, ce fut ainsi chaque jour:
chaque jour des allusions grossières étaient vociférées devant la porte. La mére
Tuvache avait fini par se croire supérieure à toute la contrée parce qu'elle n'avat
pas vendu Charlot. Et ceux qui parlaient d'elle disa ent
-J sais ben que c'était engageant, égal, elle s'a conduite comme une bonne
mère. On la citat: et Charlot qui prenait dix-huit ans, élevé dans cette idée qu'on lui
répétait sans répit, se jugeait lui-même supérieur à ses camarades, parce qu'on ne
ravait pas vendu
Les Vallin vivotaient à leur aise, grâce à la pension. La fureur inépuisable des
Tuvache, restés misérables, venait de la
Leur fils alné partit au service, le second mourut Charlot resta seul à peiner
avec le vieux père pour nourrir la mère et deux autres soeurs cadettes qu'il avait
Il prenait vingt et un ans, quand, un matin, une brillante voiture s'arrêta devant
les deux chaumières. Un jeune monsieur, avec une chaîne de montre en or
descendit, donnant la main à une vieille dame en cheveux blancs La vieille dame
lui dit
-C'est là, mon enfant, à la seconde maison. Et il entra comme chez lui dans la
masure des Vallin
La vieille mère lavait ses tabliers; le père, infirme, sommeillait près de l'âtre
Tous deux levérent la tête, et le jeune homme dit :
-Bonjour, papa; bonjour, maman
Ils se redressérent, effarés. La paysanne laissa tomber d'émoi son savon
dans l'eau et balbutia:
-C'est-té, m'n éfant ? C'est- té, m'n fant ?
la prit dans ses bras et l'embrassa, en répétant Bonjour, maman!»,
tandis que le vieux, tout tremblant, disait, de son ton calme qu'il ne perdait jamais
«Te via-ti revenu, Jean ?», comme s'il l'avait vu un mois auparavant
Et, quand ils se furent reconnus, les parents voulurent tout de suite sortir le
fieu dans le pays pour le montrer. On le conduisit chez le maire, chez l'adjoint, chez
le curé, chez l'instituteur.
Charlot, debout sur le seuil de sa chaumière, le regardait passer
Le soir, au souper, il dit aux vieux
-Fauti qui vous ayez été sots pour laisser prendre le p'tit aux Vallin
Sa mère répondit obstinément :
- voulions point vendre not éfant !
Le père ne disait rien
Le fils reprit:
-C'est-pas malheureux d'être sacrifié comme ça
Alors le père Tuvache articula d'un ton coléreux
-Vas-tu pas nous r'procher d favoir gardé ?
Et le jeune homme brutalement:
-Ou vous le r'proche, que vous n'êtes que des niants. Des parents comme
vous, ça fait I malheur des efants. Qu' vous mériteriez que vous quitte
La bonne femme pleurait dans son assiette. Elle gémit tout en avalant des
cuillerées de soupe dont elle répandait la moitié
-Tuez-vous donc pour elever d's éfants!
Alors le gars, rudement :
-J'aimerais mieux n'être point ne que d'être c' que j suis Quand j'ai vu fautre,
tantót, mon sang n'a fait qu'un tour Je m' suis dit-Và c' que serais maintenant
1
Il se leva
-Tenez, jsens bien que je ferai mieux de n' pas rester ici, parce que vous le
reprocherais du matin au soir, et que vous ferais une vie d misère. Ça, voyez-
vous vous pardonnerai jamais !
Les deux vieux se taisaient, attemes, larmoyants
ll reprit
-Non, CT idée-là, ce serait trop dur. J'aime mieux m'en aller chercher ma vie aut
part1
ouvrit la porte Un bruit de voix entra Les Vallin festoyaient avec l'enfant
revenu
Alors Charlot tapa du pied et se toumant vers ses parents, cria
-Manants, va!
Et il disparut dans la nuit
Guy de MAUPASSANT,Aux Champs in les Cortes de la Décasse 1883
1) Quelles sont désormais les relations entre les deux familles paysannes?
2) Pourquoi la mère Tuvache se croit-elle supérieure à toute la contrée » ? Quelle
est la raison réelle de son agressivite?
3) Combien de temps s'est-il écoulé entre le départ et le retour au pays de Jean ?
Le narrateur s'attarde-t-il sur ces années ? Pourquoi ?
4) Quel a été le destin de chacun des enfants ?
5) Comparez les réactions de Jean Vallin et de Charlot vis-à-vis de leurs parents
Quelle décision Charlot prend-t-il?
6) En quoi cette fin constitue-t-elle une chute ?
7) Selon vous, Maupassant prend-t-il parti dans la nouvelle ? A-t- une vision
optimiste ou pessimiste de la vie ?
Pouvez-vous m’aider à ses questions ?