Il a trente ans, elle est professeur, mariéo à un " cadre ", mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée.
C'est-a-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le diner à préparer, le bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit être la condition " normale " d'une femme.
Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retoumons à la fac, je donne des cours de latin. Le soir descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles, l'image attendrissante du
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jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m'attendrir si je me laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s'enlise, doucettement. En y consentant lâchement. D'accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mêtres l'un de l'autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L'un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. Par la dinette. Le restau universitaire fermait l'été. Midi et soir je suis seule devant les casseroles. Je ne savais pas plus que lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la mousse au chocolat, de l'extra, pas du courant.
Aucun passé d'aide-culinaire dans les jupes de maman ni l'un ni l'autre. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à me plonger dans un livre de cuisine, à éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du diner, pendant qu'il bossera son droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. Je revoyais mon père dans la cuisine. Il se marre, « non mais tu m'imagines avec un tablier peut-être ! Le genre de ton père, pas le mien ! ». Je suis humiliée. Mes parents, l'aberration, le couple bouffon. Non je n'en ai pas vu beaucoup d'hommes peler des patates. Mon modele à moi n'est pas le bon, il me le fait sentir. Le sien commence à monter à l'horizon, monsieur père laisse son épouse s'occuper de tout dans la maison, lui si disert, cultivé, en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c'est tout. À toi d'apprendre ma vieille.
Des moments d'angoisse et de découragement devant le buffet jaune canari du meublé, des œufs, des pâtes, des endives, toute la bouffe est là, qu'il faut manipuler, cuire. Fini la nourriture-décor de mon enfance, les boîtes de conserve en quinconce, les bocaux multicolores, la nourriture surprise des petits restaurants chinois bon marché du temps d'avant.
Maintenant, c'est la nourriture corvée.
Et voici les questions
1. Quelle est la situation des deux personnages du texte ? Relevez deux citations pour appuyer votre réponse. (1 point)
2. « jeune couple moderno-intellectuel » I.4 : expliquez le sens de cette expression en vous reportant au portrait du couple dans le texte. (2 points)
3. A quelle personne le texte est-il rédigé ? Quelle indication cela vous donne-t-il sur le genre du texte ? (1,5 point)
4. Quel est le temps employé majoritairement dans le texte ? Quelle est sa valeur ?
Quel effet cet emploi produit-il sur le lecteur ? (1,5 point)
5. « La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. » 1.7-8. Qui le pronom personnel souligné désigne-t-il selon vous ? À quel type de message cette phrase vous fait-elle penser ? (2 points)
6. « Elle avait démarré, la différence. » 1.11-12. De quelle différence s'agit-il?
Commentez ce propos de la narratrice en faisant un parallèle avec le propos cité plus haut : « Finie la ressemblance. » 1.9 (3 points)
7. « À toi d'apprendre ma vieille. [...] toute la bouffe est là [...]. » 1.24-26. À quel niveau de langue appartiennent les mots soulignés ? Justifiez leur emploi dans le texte. (2 points)
8. Pourquoi peut-on dire que la narratrice est une « femme gelée », ainsi que l'annonce le titre de l'œuvre ? Relevez trois éléments dans le texte pour appuyer votre réponse. (3 points)