"La mécanisation"
Il n'est pas nécessaire d'être diplômé de Harvard pour constater que les hommes sortent des
usines, des bureaux ou des magasins à mesure qu'y entrent les machines. Il est déjà
techniquement possible de placer un bloc de métal à l'embouchure d'une chaine et de le voir
sortir sous la forme d'une automobile, sans que l'homme y ait mis la main ou peu s'en faut.
Ce qui est réalisable pour l'automobile, l'est à peu près pour tout, du médicament au potage
en sachet. Il n'y a guère que le convoyage des produits de base sur les lieux de production
qui nécessite, pour le moment encore, l'intervention humaine des conducteurs de trains ou
de camions.
A ce rythme-là, dans un délai que l'esprit peut concevoir tant il est aux dimensions de la vie
humaine, le travail, et pas seulement dans les secteurs dits de production, va se raréfier
puisque, semble-t-il, il n'est que la mécanisation pour protéger le profit, et qu'il est peu de
domaines où la mécanisation ne puisse se glisser. Combien seront-ils, à terme, les
privilégiés du travail ? Pas beaucoup. Pas assez.
Les phénomènes de dislocation sociale qui s'ensuivront tombent sous le sens. (213 mots)
PHILIPPE BOUCHER, "Journal d'un amateur", Le Monde, janvier 1987