Bonjour j’ai vraiment besoin d’aide pour le 10/10/2022 je dois continuer le texte avec minimum 60 lignes
À travers la voix d'un poilu fictif, Henri Barbusse retrace son expérience
personnelle, le quotidien d'un soldat au cœur du premier conflit mondial.
Il ne pleut pas, mais tout est mouillé, suintant, lavé, naufragé, et la lumière
blafarde a l'air de couler.
On distingue de longs fossés en lacis¹ où le résidu de nuit s'accumule.
C'est la tranchée. Le fond en est tapissé d'une couche visqueuse d'où le pied se
s décolle à chaque pas avec bruit, et qui sent mauvais autour de chaque abri, à
cause de l'urine de la nuit. Les trous eux-mêmes, si on s'y penche en passant,
puent aussi, comme des bouches.
Je vois des ombres émerger de ces puits latéraux, et se mouvoir, masses
énormes et difformes: des espèces d'ours qui pataugent et grognent. C'est
10 nous.
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Nous sommes emmitouflés à la manière des populations arctiques.
Lainages, couvertures, toiles à sac, nous empaquettent, nous surmontent,
nous arrondissent étrangement. Quelques-uns s'étirent, vomissent des bâil-
lements. On perçoit des figures, rougeoyantes ou livides, avec des salissures
15 qui les balafrent, trouées par les veilleuses d'yeux brouillés et collés au bord,
embroussaillées de barbe non taillées ou encrassées de poils non rasés.
Tac! Tac! Pan! Les coups de fusil, la canonnade. Au-dessus de nous,
partout, ça crépite ou ça roule, par longues rafales ou par coups séparés. Le
sombre et flamboyant orage ne cesse jamais, jamais. Depuis plus de quinze
20 mois, depuis cinq cents jours, en ce lieu du monde où nous sommes, la fusil-
lade et le bombardement ne se sont pas arrêtés du matin au soir et du soir au
matin. On est enterré au fond d'un éternel champ de bataille; mais comme
le tic-tac des horloges de nos maisons, aux temps d'autrefois, dans le passé
quasi légendaire, on n'entend que cela lorsqu'on écoute.
Une face de poupard, aux paupières bouffies, aux pommettes si carminées
qu'on dirait qu'on y a collé de petits losanges de papier rouge, sort de terre,
ouvre un œil, les deux; c'est Paradis. La peau de ses grosses joues est striée par
la trace des plis de la toile de tente dans laquelle il a dormi la tête enveloppée.
Il promène les regards de ses petits yeux autour de lui, me voit, me fait
30 signe et me dit:
- Encore une nuit de passée, mon pauv' vieux.
- Oui, fils, combien de pareilles en passerons-nous encore?
Il lève au ciel ses deux bras boulus². Il s'est extrait, à grand frottement, de
l'escalier de la guitoune, et le voilà à côté de moi. Après avoir trébuché sur le
35 tas obscur d'un bonhomme assis par terre, dans la pénombre, et qui se gratte
énergiquement avec des soupirs rauques, Paradis s'éloigne, clapotant, cahin-
caha, comme un pingouin, dans le décor diluvien.
Henri Barbusse, Le Feu, Journal d'une escouade, 1916.