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Le Paquet
TEXTE INTEGRA
Pendant
un certain nombre d'années, ici à Milan, j'ai habité piazza
Castello, à la fin des numéros pairs. La nuit, je laissais ma voiture,
alors une Fiat jardinière, rangée le long du trottoir. Et souvent j'oubliais
de la fermer à clé. Un matin, j'ouvris la portière et m'apprêtai à m'asseoir
s quand je remarquai que sur le siège de droite il y avait un paquet. C'était
un emballage grossier de papier journal lié par une ficelle, et il en suintait
un liquide, ici rougeâtre, là tirant sur le jaune : une chose dégoûtante. Si
les mains avec un chiffon, la soulevai et la jetai dehors, sur la chaus-
repoussante qu'il ne me passa pas par la tête de l'ouvrir. Je me protégeai
10 sée. C'était relativement mou et lourd, comme si cela avait contenu, par
exemple, de la viande. Une plaisanterie, pensai-je. Et le soir, je pris soin de
bien fermer les fenêtres et les portes. Sinon que, à distance de dix jours
environ, l'événement se répéta. Encore un paquet suintant une matière
liquide d'une couleur abjecte. Et de nouveau je me gardai bien de l'ouvrir.
is Je l'enveloppai le mieux possible dans un vieux journal et le déposai sur
le trottoir. Mais comment avaient-ils fait pour l'introduire, dans la voiture
hermétiquement fermée? Je restai troublé, je l'avoue.
Deux mois passèrent, je crois, et m'arrive un autre paquet d'aspect
répugnant. La curiosité aurait voulu qu'avec les précautions d'usage je
20 l'ouvrisse pour voir ce qu'il contenait, mais un sentiment difficile à décrire,
une sorte d'obscure stupeur me retint : comme si le paquet avait recelé
quelque chose qui me concernait personnellement et qu'il valait mieux
ne pas dévoiler.
À intervalles réguliers, parfois de six ou sept mois, ce désagréable
25 incident s'est répété de la même manière. J'ai déménagé deux fois, et cela
n'a servi à rien. Ce matin l'infâme paquet m'a paru plus lourd, sinon plus
gros, que d'habitude. Vous direz: pourquoi, si tu n'as pas eu le courage
de l'ouvrir, n'avertis-tu pas la police ? La réponse semblera absurde; je ne
sais pas en donner la réponse, mais j'ai peur.
(Confession d'un ami dont je ne peux révéler le nom.)
D. BUZZATI, «Anecdotes de la ville », Les Nuits difficiles,
traduction de M. Sager, Robert Laffont, 1973 questions: dressez le portrait physique et moral d’un personnage que vous avez rencontrer