Préparation à l’épreuve écrite de l’EAF - LA CONTRACTION DE TEXTE Devoir-maison : Alain (1868-1951), Propos d’un Normand de 1910 - extrait

Vous résumerez le texte d’Alain, qui compte 500 mots, au quart, c’est-à-dire en 125 mots. Une tolérance de +/- 10% est admise : votre travail comptera donc au moins 113 mots et au plus 137 mots.
Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.

Il y a un enseignement monarchique, j’entends un enseignement qui a pour objet de séparer ceux qui sauront et gouverneront de ceux qui ignoreront et obéiront. Je revois par l’imagination notre professeur de mathématiques, qui, certes, ne manquait pas de connaissances, je le revois écrasant de son ironie un peu lourde un de nos
5 camarades, qui était aussi myope qu’on peut l’être. Cet enfant ne voyait les choses qu’au bout de son nez. Aussi promenait-il son nez d’un bout de la ligne à l’autre, afin de s’en donner une perception exacte ; quant à voir le triangle tout entier d’un seul regard, il n’y pouvait point songer. Je suppose qu’il aurait fallu l’exercer sur de toutes petites figures, pas plus larges que le bout de son nez ; ainsi, découvrant le triangle tout entier,
10 il aurait pu y saisir des rapports, et raisonner après cela aussi bien qu’un autre.
Mais il s’agissait bien de cela. On le pressait. Il courait d’un sommet du triangle à l’autre, parlait pour remplir le temps, disait A pour B, droite pour angle, ce qui faisait des discours parfaitement ridicules ; et nous avions des rires d’esclaves. Cet enfant fut ainsi
condamné publiquement à n’être qu’un sot, parce qu’il était myope.
15 Cet écrasement des faibles exprime tout un système politique dans lequel nous sommes encore à moitié empêtrés. Il semble que le professeur ait pour tâche de choisir, dans la foule, une élite, et de décourager et rabattre les autres. Et nous nous croyons bons démocrates parce que nous choisissons sans avoir égard à la naissance, ni à la richesse. Comptez que toute monarchie et toute tyrannie a toujours procédé 20 ainsi, choisissant un Colbert ou un Racine, et écrasant ainsi le peuple par le meilleur de
ses propres forces.
Que faisons-nous maintenant ? Nous choisissons quelques génies et un certain
nombre de talents supérieurs ; nous les décrassons, nous les estampillons, nous les
marions confortablement, et nous faisons d’eux une aristocratie d’esprit qui s’allie à 25 l’autre, et gouverne tyranniquement au nom de l’égalité, admirable égalité, qui donne
tout à ceux qui ont déjà beaucoup !
Selon mon idée, il faudrait agir tout à fait autrement. Instruire le peuple tout entier ;
se plier à la myopie, à la lourdeur d’esprit, aiguillonner la paresse, éveiller à tout prix
ceux qui dorment, et montrer plus de joie pour un petit paysan un peu débarbouillé, que 30 pour un élégant mathématicien qui s’élève d’un vol sûr jusqu’aux sommets de l’École Polytechnique. D’après cela, tout l’effort des pouvoirs publics devrait s’employer à éclairer les masses par le dessous et par le dedans, au lieu de faire briller quelques pics superbes, quelques rois nés du peuple, et qui donnent un air de justice à l’inégalité. Mais qui pense à ces choses ? Même les socialistes ne s’en font pas une 35 idée nette ; je les vois empoisonnés de tyrannie, et réclamant de bons rois. Il n’y a point
de bons rois !
27 juin 1910