"Accepter les marques du temps"
《 Cet extrait est issu de la première page de L'Amant. Avant de faire le récit d son grand amour de jeunesse, l'auteure revient sur les marques que le temps a dès l'adolescence, déposées sur son visage. Un jour, j'étais àgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s'est fait connaître et il m'a dit : «Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle main- tenant que lorsque vous étiez jeune, j'aimais moins votre visage de jeune celui que vous avez maintenant, dévasté. » Je pense souvent à femme que cette image que je suis seule à voir encore et dont je n'ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante. C'est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais, où je m'enchante Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. Il me semble qu'on m'a parlé de cett poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse la 15 âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a ét brutal. Je l'ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu'il y avai entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plu définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d'en et effrayée, j'ai vu s'opérer ce vieillissement de mon visage avec l'intérêt qu 20 j'aurais pris par exemple au déroulement d'une lecture. Je savais aussi qu je ne me trompais pas, qu'un jour il se ralentirait et qu'il prendrait son cours normal. [1 Les gens qui m'avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage d France ont été impressionnés quand ils m'ont revue, deux ans apres 25 dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu'il n'aurait dû. J'ai u visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s'est p affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contour mais sa matière est détruite. J'ai un visage détruit. Jean-Jacques Annaud, L'Amant, 1992. film avec Jane March Marguerite Duras, L'Amant, 1984》
Découvrir le texte
1. Quelle phrase du texte pourrait servir de titr à cet extrait ?
La construction de l'autoportrait 2.
Montrez que l'ensemble de cet autoportrait s'attache à la description physique de l'auteure.
3. Repérez les deux parties dont se compose le premier paragraphe.
Donnez un titre à chacune.
4. Étudiez le découpage des trois paragraphes suivants.
Pourquoi l'auteure ne les a-t-elle pas rassemblés?
Le regard sur soi
5. Relevez les passages qui expriment les sentiments qu'éprouve l'auteure à l'égard de son visage de jeune fille et ceux que lui a inspirés son vieillissement. Quels traits de sa personnalité se révèlent ainsi ?
6. Repérez la comparaison* qu'emploie l'auteure pour expliquer l'intérêt qu'elle porte à la transformation de son visage. Que révèle cette comparaison du rapport de l'auteure à son image? 7. Dans les deuxième et troisième paragraphes, relevez les descriptions que fait l'auteure de son visage. Pourquoi peut-on dire qu'elle procède à la façon d'un sculpteur? Pourquoi faire son autoportrait ?
8. Observez les remarques que fait l'auteure sur le rythme de son vieillissement. Par quels procédés insiste-t-elle sur le caractère unique et étonnant de son expérience personnelle?
9. Qu'est-ce qui, dans cet autoportrait, peut intéresser le lecteur ?