De plus, une cité est par nature antérieure à une famille et à chacun de nous. Le tout, en
effet, est nécessairement antérieur à la partie, car le corps entier une fois détruit, il n'y a plus ni
pied ni main, sinon par homonymie, comme quand on parle d'une main de pierre, car c'est
après la mort qu'une main sera telle, mais toutes les choses se définissent par leur fonction et
leur vertu, de sorte que quand elles ne les ont plus il ne faut pas dire qu'elles sont les mêmes,
mais qu'elles n'ont que le même nom. Que donc la cité soit à la fois par nature et antérieure à
chacun de ses membres, c'est clair. S'il est vrai, en effet, que chacun pris séparément n'est pas
autosuffisant, il sera dans la même situation que les autres parties vis-à-vis du tout, alors que
celui qui n'est pas capable d'appartenir à une communauté ou qui n'en a pas besoin parce qu'il
se suffit à lui-même n'est en rien une partie d'une cité, si bien que c'est soit une bête soit un
dieu. C'est donc par nature qu'il y a chez tous les hommes la tendance vers une communauté
de ce genre, mais le premier qui l'établit n'en fut pas moins cause des plus grands biens. De
même, en effet, qu'un homme accompli est le meilleur des animaux, de même aussi quand il a
rompu avec loi et justice est-il le pire de tous. Car la plus terrible des injustices, c'est celle qui
a des armes. Or l'homme naît pourvu d'armes en vue d'acquérir prudence et vertu et il est le
pire des animaux dans ses dérèglements sexuels et gloutons. Or la vertu de justice est politique,
car la justice introduit un ordre dans la communauté politique, et la justice démarque le juste et
l'injuste. »>