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Agé de cinq ou six ans, je fus victime d'une agression. Je veux dire que je subis dans la
gorge une opération qui consista à m'enlever les végétations: l'intervention eut lieu d'une
manière très brutale, sans que je fusse anesthésié. Mes parents avaient d'abord commis la faute
de m'emmener chez le chirurgien sans me dire où ils me conduisaient. Si mes souvenirs sont
justes, je m'imaginais que nous allions au cirque ; j'étais donc très loin de prévoir le coup sinistre
que me réservaient le vieux médecin de la famille, qui assistait le chirurgien, et ce dernier lui-
même. Cela se déroula, point pour point, ainsi qu'un coup monté et j'eus le sentiment qu'on
m'avait tattiré dans un
un abominable guet-apens.
Voici comment les choses se passèrent: laissant mes parents dans le salon d'attente, le
vieux médecin m'amena jusqu'au chirurgien, qui se tenait dans une autre pièce en grande barbe
noire et blouse blanche (telle est, du moins, l'image d'ogre que j'en ai gardée) : j'aperçus des
instruments tranchants et, sans doute, eus-je l'air effrayé car, me prenant sur ses genoux, le
vieux médecin dit pour me rassurer: "Viens, mon petit coco! On va jouer à faire la cuisine." A
partir de ce moment je ne me souviens de rien, sinon de l'attaque soudaine du chirurgien qui
plongea un outil dans ma gorge, de la douleur que je ressentis et du cri de bête qu'on éventre
que je poussai. Ma mère, qui m'entendit d'à côté, fut effarée.
Dans le fiacre qui nous ramena je ne dis pas un mot; le choc avait été si violent que
pendant vingt-quatre heures il fut impossible de m'arracher une parole; ma mère, complètement
désorientée, se demandait si je n'étais pas devenu muet. Tout ce que je me rappelle de la
période qui suivit immédiatement l'opération, c'est le retour en fiacre, les vaines tentatives de
mes parents pour me faire parler puis, à la maison: ma mère me tenant dans ses bras devant la
cheminée du salon, les sorbets qu'on me faisait avaler, le sang qu'à diverses reprises je
dégurgital et qui se confondait pour moi avec la couleur fraise des sorbets.
Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d'enfance. Non seulement je ne
comprenais pas que l'on m'eût fait si mal, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège, d'une
perfidie atroce de la part des adultes, qui ne m'avaient amadoué que pour se livrer sur ma
personne à la plus sauvage agression.
Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-
trapes', n'est qu'une vaste prison ou salle de chirurgie; je ne suis sur terre que pour devenir
chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil; comme la promesse fallacieuse de
m'emmener au cirque ou de jouer à faire la cuisine, tout ce qui peut m'arriver d'agréable en
attendant n'est qu'un leurre, une façon de me dorer la pilule pour me conduire plus sûrement à
l'abattoir où, tôt ou tard, je dois être mené.
Michel LEIRIS, L'Age d'homme (1939).
chausse-trapes: trous camouflés cachant un piège servant à attraper des animaux.
Réponds aux questions de manière variée et précise en utilisant la méthode étudiée
2) a- Pourquoi Leiris parle-t-il de faute (ligne 3) ? (3 pts)
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b- Dans la suite de ce premier paragraphe, relève trois expressions permettant de comprendre ce qu'il a
pensé de cet événement et explique ce qu'elles indiquent. (3 pts)
3) Relis le 2nd paragraphe et explique les souvenirs que Michel Leiris a gardés des médecins. (3 pts)
4) a- Dans les trois premiers paragraphes, retrouve les termes et expressions appartenant au champ lexical de la
souffrance. (15 pts)
b- Que penses-tu alors de leur utilisation par l'écrivain? (15 pts)
5) Quelle est la valeur du présent 1. 24: pourquoi l'écrivain, qui racontait au passé, utilise-t-il ce temps ? (1 pt)
6) Quelle est la valeur du présent dans la phrase: « le monde, plein de chausse-trapes, n'est qu'une vaste prison
ou salle de chirurgie - 2 (1.29) (1 pt)
7) Comment comprends-tu la phrase: «Toute ma représentation de la vie en est restée marquée»? (1.28)
Orthographe et expression à vérifier réellement !!
Développe (comme toujours !) ta réponse. (3 pts)