A- Le poids du conformisme: un frein à l'exercice de la liberté 1. Extrait d'un entretien avec l'écrivain Edouard Louis (auteur de En finir avec Eddy Bellegueule), précédant la nouvelle édition de Retour à Reims de Didier Eribon, 2018. [...] La plupart du temps on ne voit même pas sa propre vie, on vit à côté d'elle, on passe à côté d'elle et on meurt en l'ayant à peine aperçue. Il y a un exemple que je prends souvent parce qu'il est à la fois simple et profond : c'est celui de ma mère qui, quand j'étais enfant, me répétait toujours : « L'école, ça n'a jamais été mon truc, ça ne m'a jamais intéressée » [...]. Quand ma mère le disait, pour moi ce n'était qu'une phrase, comme ça, insignifiante, juste un détail sur sa vie ou sur son caractère. Mais quand j'ai lu Eribon, puis Bourdieu (deux sociologues ayant travaillé sur les rapports entre les classes sociales), j'ai compris que cette phrase n'était pas seulement un détail, une succession de mots et de sons, mais qu'elle révélait tout un système d'exclusion, de domination et de reproduction sociale. Ma mère pensait qu'elle avait fait un choix en arrêtant l'école à 16 ans, mais elle ne se rendait pas compte que tout le monde dans son milieu, dans sa classe sociale, dans son village, avait fait la même chose et que donc sa décision était le résultat d'un déterminisme social, collectif. Elle ne voyait pas que pour les classes les plus privilégiées, faire des études est une évidence, alors que dans sa classe à elle, c'est une chose presque impossible. Ce que ma mère pensait comme un choix, comme une petite caractéristique individuelle, à peine intéressante à raconter, avait en fait un sens très profond : les femmes dans son cas, nées dans un milieu pauvre, dans un petit village loin de tout, étaient dans l'ensemble prédestinées à cette vie, à ne pas faire d'études, à avoir des enfants très jeunes [...]. »> →Quelle analyse l'auteur fait-il du choix de sa mère ?